Le travail, c'est la santé |
Mercredi 4 octobre 2000 S'il y a bien une chose que je ne comprends pas chez un Poulpe ou chez qui que ce soit, c'est l'abandon spontané, mais surtout consentant, à la paresse. Ce n'est pas que je ne suis jamais paresseuse. Au contraire. Il m'arrive souvent de me jeter à corps perdu dans l'indolence et la nonchalance. Mais ce n'est jamais alors complètement innocent. Au contraire. Mes heures de pleine oisiveté sont toujours tendues par un intense sentiment de culpabilité tenant en éveil ma conscience morale et empêchant justement mon corps de se perdre complètement et aveuglément dans la pire des paresses. Je ne fais que des crises de paresse aiguë - c'est-à-dire aiguisées par le remords et la mauvaise conscience. Prenons un exemple. Ce matin, je me suis réveillée avec un mal de ventre terrible et une lourde fatigue. Il pleuvait dehors. Un de ses sales temps d'hiver naissant. Hannah, pour une fois, n'était pas encore venue me réclamer ses croquettes matinales. Et puis surtout, contrairement aux mercredis précédents, je n'avais pas besoin ce jour là d'aller au lycée, les cours ayant été déplacés. Bref, une journée idéale pour rester au fin fond de ma couette en regardant par la fenêtre les nuages passer. C'est ce que j'ai commencé à faire : après une bonne douche chaude, je me suis recouchée dans le canapé avec un bon thé brulant et un grand paquet de gateaux. J'ai pressé le bouton de la télévision et mes yeux ont regardé une bonne dose de feuilletons américains pour adolescents en manque d'intelligence. J'étais bien dans ma fénéantise. Il y faisait chaud et doux. Le temps paraissait s'être arrêté. Mais c'est revenu. Ce n'était pas même parti. Ca gueulait au fin fond de ma conscience, aussi fort qu'il faisait tendre au fin fond de mon lit. Ca ne disait rien de particulier, mais ça venait en laissant en moi un terrible sentiment de malaise, atrophié par la culpabilité. Au bout d'un moment, je n'ai pas pu tenir. Je me suis levée et je me suis mise à travailler. Paradoxalement, mon mal de ventre qui ne m'avait toujours pas quittée dans la chaleur du lit a mystérieusement disparu, et, plus étrange encore, la gêne et le malaise qui m'avaient empêchée de complètement m'abandonner à ma paresse se sont brusquement transformés en sérénité et en tranquillité, voire (est-ce crédible ?) en plaisir. J'ai du mal à comprendre ce soir pourquoi je suis si heureuse après une journée de travail, alors que ce matin je me sentais si mal en me levant. Je ne dois pas être faite comme tout le monde. C'est sûr. J'ai un gène de trop. Ou en moins. Je ne sais pas. Ce n'est pas normal que j'aime autant travailler. Vous croyez que ça se soigne ? Car c'est une maladie. Aujourd'hui, je n'avais plus de boulot à faire. Je me suis mise à préparer un cours que je ne vais sûrement pas donner avant un mois ou deux. Il fallait que j'ai de la matière à penser ou de la pensée à matérialiser - je ne sais pas. Sinon j'aurais été malheureuse. Qui a dit que le travail, c'était la santé ? |