Mal chance



pour m'écrire








































































hier demain
Mercredi 27 septembre 2000

Ce matin, à la gare, j'étais assise à côté d'un petit groupe de jeunes filles qui discutaient.
"- Je suis passée sous une échelle ce matin !", disait l'une.
"- Ah ouais ?, rétorquait la seconde, "moi j'ai croisé un chat noir !"
"- Hum, les filles, ça va pas être votre journée aujourd'hui... Attention...", ajouta la troisième, l'air moins ironique que véritablement inquiet.
Moi, dans mon coin, je rigolais sous cape : "Hi, hi... Je suis née un 13, je vis jour et nuit avec un chat noir (vraiment noir), dès que je mets un chapeau je ne me gène pas pour le poser sur le lit, et il m'arrive souvent de renverser du sel... Ce n'est pas pour cela que j'ai moins de chance que les autres !". Je riais en pensant qu'une de ces jeunes superstitieuses auraient pu faire d'Hannah un porte-malheur.

Je crois que c'est à ce moment là exactement que les ennuis ont commencé. A ce moment très précis où je me suis mise à me moquer de ses croyances infondées. A croire qu'un mauvais diable aura voulu me punir de mon orgueil.

Mon premier malheur de la journée m'a été donné par un chef de gare. Ce n'est pas celui-ci qui est mauvais, c'est la nouvelle qu'il apporte : un incident a eu lieu sur la ligne menant à Poulpeville, et par conséquent le train ne va pas pouvoir partir. Je ne me suis pas tout de suite rendue compte de ma malchance. Le contrôleur se voulait rassurant, arguant que la SNCF allait trouver une solution pour les quelques voyageurs qui allaient vers cette destination (on n'était pas nombreux). Seulement il est entré dans son bureau, avec d'autres bonhommes casquétés, et n'en ressortait qu'épisodiquement pour dire qu'effectivement il cherchait une solution avec ses collègues. Au bout d'un quart d'heure, je me suis dit que la solution décidément n'arriverait pas. J'ai compris qu'il fallait la trouver moi-même. J'ai foncé hors de la gare, ai récupéré mon vélo et pédalé à toute vitesse, bravant tous les sens interdits, vers ma Twingo-mobile. Là, le compte à rebours a commencé. Difficile de prendre les sens uniques à rebours quand on a une voiture. J'ai bien mis une bonne vingtaine de minutes à sortir d'Evaville, fixant intensément l'horloge, me répétant que je n'y arriverai jamais. J'imaginais mes élèves m'attendant dans le couloir, faisant toutes les bêtises inimaginables. Plus cette vision m'obsédait, plus j'appuyais le pied sur l'accélérateur. Ma fidèle Twingo transformée en Formule 1, je suis finalement parvenue au lycée, trois quart d'heures après, juste quelques minutes avant le début du cours.

Mais j'étais énervée.

Après mon cours, je suis allée faire des courses, et, sur un coup de tête, je me suis dit que ce serait bien d'essayer une nouvelle piscine. Comme je passais justement à côté d'un "centre nautique", situé près du centre commercial, je me suis dit que c'était là bas que j'allais faire mes kilomètres de nage. Rien de tel que de bonnes longueurs de crawl pour me détendre et me sentir heureuse. J'aurais dû sourciller en voyant le prix élevé de l'entrée. Mais je ne m'en suis aperçue que plus tard, une fois en maillot de bain : ce n'était pas une piscine pour nager, c'était une grande cours de récréation nautique, avec des toboggans partout et de l'eau faisant des vagues ! Mais pire que cela : il y avait des mômes criards et excités partout ! Partout ! Pas un seul adulte, à part une ou deux mamans tenant dans leurs bras de petits bébés entourés d'une bouée presque plus grosse qu'eux. Bien entendu, impossible de nager dans ces conditions. Je ne pouvais pas faire un mètre sans percuter un enfant. J'ai juste fait trempette, et ai dû ressortir aussitôt, restant finalement plus longtemps sous la douche que sous l'eau.

Du coup, j'étais encore plus énervée.

J'avais perdu mon après-midi. Il ne me restait plus qu'à rentrer chez moi. Mais là, je ne sais pas ce qui s'est passé. J'ai dû prendre une mauvaise rue, peu habituée encore à circuler en auto dans la ville. Je me suis retrouvée dans le quartier piéton. Ces rues, destinées dans la journée aux marcheurs, sont fermées normalement aux voitures. Pourtant, Dieu seul sait comment, je suis tombée dans une de ces rues. Personne ne semblait vouloir s'écarter pour laisser passer la maudite voiture qui, tout à fait illégalement, venait troubler leur tranquillité. A chaque fois que je voulais tourner, je tombais sur une rue fermée, et il me fallait faire marche arrière. Je me suis cru en plein cauchemar. J'arrive à peine à croire que je m'en suis finalement sortie.

Résultat : après une journée dépensée de façon complètement inutile, me voilà plus que jamais énervée.

Pire : me voilà en train de raconter toutes ces petites aventures sans aucun intérêt (mais vraiment aucun) sur Internet. Qui donc ça pourrait intéresser ? Je vous le demande ! Personne !

Pas même le petit chat noir qui dort paisiblement sur mes genoux, ne se sentant pas le moins du monde responsables de mes piteux malheurs... D'ailleurs, je ne suis pas rancunière : je lui ai acheté de bonnes croquettes au poisson dont elle s'est régalée. Il faut croire que je suis masochiste : sûr que certains sont persuadés qu'en nourrissant mon chat noir, je m'achète ma propre malchance...



Il y a un an.