27 septembre 1999

Bonsoir,

Mes élèves me demandent souvent d'avoir un langage moins compliqué, d'employer moins de concepts qui, à leurs yeux, semblent bizarres et abscons, de leur dicter plus le cours aussi, pour leur éviter le travail de prise de notes qui leur semble si pénible. Mais à chaque fois je refuse de répondre à ce type de revendication, et sur ce point je suis intransigeante. C'est vrai que j'emploie un vocabulaire recherché, évoquant qui plus est des concepts qui les déstabilisent. Mais je pense qu'il est fondamental qu'ils voient cette rigueur chez moi afin qu'idéalement ils la reproduisent un jour (tu noteras que je laisse l'échéance ouverte dans ce "un jour"). Ca les fait grogner. Mais il faut bien qu'ils entrent dans la vie en sachant parler français : qu'ils sachent parler de choses en les désignant autrement que par le vocable "truc" par exemple, ou surtout en parvenant à noter les liens qu'il peut y avoir entre les idées qu'ils exposent (qu'ils emploient un "parce que" là où il y a effectivement l'idée de cause). L'exigence de rigueur dans la formulation de sa pensée est donc un point sur lequel je ne suis pas prête de fléchir.

Cependant, aujourd'hui, en préparant mon cours pour mes lionceaux, j'ai fait preuve de la plus grande démagogie. Comme cette classe n'est composée que de garçons, et de garçons ayant vraiment des goûts de garçons ( ...euh, je sais que cette expression est pleine de préjugés : n'ai-je pas devant mes yeux un représentant de la gent masculine ayant des goûts virils - les sports mécaniques par exemple - mais se livrant à des activités considérées comme plus féminines - tenir son journal intime par exemple ?)... comme je n'ai que des garçons dans cette classe, disais-je, j'ai décidé d'étudier avec eux un texte susceptible de leur plaire. Mon but est de leur faire comprendre ce que peut être une loi, une règle, en leur évoquant la notion de destin, et en leur demandant où se trouve la liberté dans tout ça. C'est là que je suis démago, car au lieu de leur sortir d'un gros bouquin poussiéreux un texte sérieux avec une problématique ardue à saisir, je leur ai trouvé un petit article de journal parlant de la Coupe de monde de football. Je ne dirai pas ici ce que je pense du football, car je n'en pense pas que du bien (euphémisme). Je n'ai jamais vraiment compris comment certains pouvaient mettre toute leur énergie dans la course après un ballon (rond), et encore moins pourquoi d'autres, plus nombreux encore, pouvaient dépenser l'énergie qu'ils ne mettaient pas à courir à crier et à se transformer en furie devant un écran (carré)... Bref, n'entrons pas dans un débat sur les ronds et les carrés, car tout le monde sait justement que les goûts (pour les chiffres situés entre un, et deux, et trois) et les couleurs (vertes, mais aussi bleues, et blanches, et rouges) ne se discutent pas.

Tu noteras seulement que j'ai fait abstraction de mes sentiments personnels, pour proposer à mes élèves de parler pendant une petite heure de football. Je te dirai comment ça c'est passé. Mais avant, s'il te plaît, aide moi ! Parce qu'à une certaine époque, alors que toute la France était engluée devant sa télévision, moi j'étais plongée dans mes bouquins, ma culture a par conséquent quelques trous. J'ignore donc ce que signifient ces mots (abscons justement pour moi) : coup franc, hors-jeu, carton jaune, carton rouge, corner, touche. QU'EST-CE QUE CA VEUT DIRE ? Tu pourrais sortir de ton mutisme pour me répondre, Fred ? Ou vous Lecteurs (car vous non plus je ne vous entends pas beaucoup !) ?

Eva.


Ma pauvre petite Eva...

... tu permets que je t'appelle comme ça (quoique sachant très bien que tu n'es sans doute : ni pauvre, ni petite (?), ni encore moins à moi !)
Alors, pour ce numéro de Freddy X, le retour, que de sujets : tes interrogations philosophiquo-footballistiques auxquelles il est assez simple de répondre, mon épuisant week-end mécanique à défaut d'être sportif, l'anniversaire du petit pirate, et mon prochain boulot... parce que : ça y est, je suis enfin sorti de ma condition d'exclus (d'exclus de quoi, d'ailleurs ? je me demande bien ! et de quoi vais-je m'exclure maintenant que je vais travailler plus de huit heures par jour, en me levant à des heures où tu avais l'habitude de me savoir encore debout...)

Bon, puisque tu parlais de rond et de carré, continuons avec le rectangle. Imagines qu'un terrain de foot soit un rectangle (jusque là, ça va ?), la touche c'est le fait de remettre le ballon sur le terrain quand il est sorti par le grand coté de celui-ci, ok ? l'équipe dont un joueur a "mis la balle en touche" perd le ballon et un joueur de l'autre équipe le prend à deux mains et en le faisant passer par dessus la tête, doit dans un geste élégant (?) le remettre "en jeu" (en essayant de le passer à un de ses coéquipiers)... le corner, c'est quand il est sorti du terrain par le petit coté (tu sais, là où il y a les buts...) et que le dernier à l'avoir touché est un joueur de l'équipe qui joue de ce coté-là (ça va toujours ?). Dans ce cas-là, et c'est sans doute pourquoi on appelle ça un "corner", un joueur de l'autre équipe pose ce ballon au coin du rectangle et tire dedans avec son pied en direction du but où se trouvent tout un tas de grands gaillards, les uns prêts à récupérer ce ballon pour l'envoyer au fond du but, les autres prêts à aider leur gardien de but à le renvoyer loin, loin, loin dudit but (toujours ok ?)
Bon, ceci-dit, il arrive souvent que ces sympathiques garçons ne respectent pas toujours les règles du jeu : toucher le ballon avec la main, tirer le maillot des autres, essayer d'attraper le ballon et ne réussir qu'à attraper les chevilles de l'adversaire, etc, etc... Quand l'arbitre voit ça, il siffle un "coup-franc" (ça les calme et ils arrêtent de jouer), rend la balle à l'équipe lésée qui la pose par terre, fait reculer les "vilains" pour que les "gentils" puissent jouer tranquillement (il est à noter que les deux équipes sont alternativement "les vilains" et "les gentils"...) et lorsqu'il siffle à nouveau pour faire reprendre le jeu, le gentil tire dans le ballon pour le faire approcher du but adverse... Des fois le gentil est tellement bon, qu'il arrive d'un seul coup de pied à passer le ballon au travers de tous les joueurs qui trainent par là et à mettre le ballon dans le but : ça s'appelle marquer un but (c'est simple, le foot, non ?)
Des fois aussi, l'arbitre est énervé par la faute qu'a commis le "vilain" et il lui donne un avertissement : "Si tu recommences, je te fais sortir du terrain pour le reste de la partie" : ça, c'est le "carton jaune"... et si le même vilain, recommence, il reçoit un second carton jaune, alors l'arbitre voyant qu'il lui a déjà donné un avertissement sort cette fois-ci son joli carton rouge qui veut dire : "Dehors !!!" Si le vilain est surtout "méchant" il peut aussi voir le fatidique carton rouge directement... même punition : "Va regarder le match à la télé !!!".

Bon, le hors-jeu, c'est un peu plus compliqué à expliquer. Si tu veux, pour éviter que des joueurs qui veulent marquer des buts passent leur temps devant le goal adverse en ne faisant qu'attendre qu'on leur passe le ballon (ce qui est immoral, car ainsi, ils passeraient à la télévision, deviendraient célèbres, gagneraient mêmes des millions sans rien faire d'autres que d'attendre, alors que de pauvres ouvriers se cassent le dos pour un salaire de misère...)on a inventé la règle du "hors-jeu". Un joueur est hors-jeu (ce qui est interdit, donc sanctionné ; on verra plus loin comment) lorsqu'il est trop près du but adverse. Mais, "trop près", ça ne veut rien dire, diras-tu... et tu auras raison. Donc "hors-jeu" concrètement, ça veut dire qu'il y a moins de deux joueurs de l'équipe adverse entre la ligne de corner et la parallèle passant par le joueur étudié... au moment précis où on lui passe le ballon (après il a le droit de courir très, très vite vers le but et de battre le gardien). Alors : "moins de deux" ça veut dire, zéro ou un (généralement on pense au goal) ; ce qui veut dire qu'on ne peut pas attendre devant le gardien de but mais qu'il faut de trouver parmi les joueurs adverses, demander le ballon, le recevoir, courir en zigzaguant vers le but (en passsant le ballon ou pas, c'est selon...) et quand on pense être en bonne position, tirer (on peut aussi dire "shooter" !) pour essayer de marquer un but...
Bon, si tu es "hors-jeu", la joueuse de l'autre équipe à le droit de tirer un "coup-franc" (voir plus haut).

Tu vois, c'est simple ce jeu (c'est peut-être pour ça qu'on pense qu'il faut être un crétin pour y briller ?)

Allez, suffit avec toutes ces barbantes explications : j'espère seulement t'avoir fait un peu rire...

Comme "nous" ce soir puisque c'était l'anniversaire du petit pirate ; il admet enfin aujourd'hui qu'il n'a plus "quatre ans et demi..." comme il disait jusqu'à ce matin.

Et puis, je garde le reste pour demain : à la fin de la semaine, ou au début du mois, comme tu veux, je vais à nouveau travailler, et je ne sais même pas si c'est une bonne nouvelle : je veux dire, je ne suis pas sûr de mon choix, ça ne m'emballe pas (encore) vraiment, il y a pas mal de choses qui ne plaisent pas trop dans ce job qui correspond à ce que je sais, veux, aime faire, mais sans que tout cela ne me rende réellement heureux, bizarre !!! Enfin, je t'en dirai plus quand j'aurai testé en grandeur nature...

D'ici-là, je te laisse et je vais aller dormir !!!

Tchao, Eva !!!

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