"L'oubli n'est pas une simple vis inertiae, comme le croient les esprits superficiels, c'est bien plutôt une faculté d'inhibition active, une faculté positive dans toute la force du terme. [...] Fermer temporairement les portes et les fenêtres de la conscience ; nous mettre à l'écart du bruit et de la lutte que mène le monde souterrain de nos organes, tantôt l'un pour l'autre, tantôt l'un contre l'autre ; faire un peu de silence, de table rase dans notre conscience pour laisser la place à du nouveau, surtout aux fonctions et aux fonctionnaires plus nobles, pour pouvoir gouverner, prévoir, décider à l'avance [...], voilà l'utilité de l'oubli, actif, comme je l'ai dit, sorte d'huissier, gardien de l'ordre psychique, de la tranquillité, de l'étiquette : on voit aussitôt pourquoi sans oubli il ne pourrait y avoir ni bonheur, ni sérénité, ni espoir, ni fierté, ni présent." Je me suis rappelé ce texte de Nietzsche, cet après-midi, dans le train qui roulait à travers les champs pour me ramener vers Evaville. Oublier toute cette histoire pour refaire de la place au présent et y préparer un avenir. Au fil des kilomètres, Hannah dans son panier devenait de plus en plus calme. Pour la première fois, elle n'a pas miaulé une seule fois. Au bout d'une demi-heure à peine, je crois même qu'elle s'est assoupie. Face à tant de tranquillité, je me suis dit qu'il devait être facile aussi pour moi d'être sereine et d'ignorer tous les regrets et tous les remords.Eva.
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