16 mars 2000

Ce matin, lorsque je suis arrivée au lycée, à 7 heures 30, il n'y avait aucune voiture dans le parking des professeurs. J'ai dit : "tiens, tiens". Lorsque je suis entrée dans la salle des profs, j'ai vu que les stores étaient encore baissés et les photocopieuses éteintes. J'ai dit de nouveau "tiens, tiens". Il y avait à une table une valeureuse prof qui finissait de corriger des copies. Je me suis étonnée : "Il n'y a que toi ? Où sont tous les autres ? Qu'est-ce qui se passe ?" J'ai une sérieuse tendance à vivre enfermée dans mon monde, dans mes livres, dans mes histoires, sans bien écouter ce qui se passe autour de moi ou loin de moi, tel qu'on le raconte aux infos par exemple. Ce que j'avais donc loupé, c'est cette information essentielle : c'était la grève générale des profs aujourd'hui. Grève nationale à l'appel unitaire des syndicats.

8 heures moins dix, il était trop tard pour rebrousser chemin et retourner chez moi. Pendant deux heures, mes élèves m'ont bien rappelé mon oubli, me maudissant d'être un des seuls profs à être venu au lycée et à les avoir fait se lever si tôt, alors que leurs camarades devaient être encore tranquillement au lit : "Vous n'êtes pas solidaire de vos collègues, M'dame ! Pourquoi vous faites pas grève ?" Je n'étais pas du tout crédible lorsque je leur expliquais que, si, je soutenais cette grève, que moi aussi j'étais d'accord avec les revendications des enseignants, mais que si j'étais là, c'était pour eux, pour leur Bac dans quelques mois, et tout ça... Discours qui leur passait complètement au-dessus de la tête. Discours d'ailleurs dont je n'étais pas du tout convaincue et qui donc n'avait aucune chance de convaincre.

A la fin du cours, je suis retournée dans la salle des profs, toujours aussi désertée. J'ai regardé les panneaux d'affichage au-dessus de la photocopieuse, et j'ai lu tous les tracts affichés, expliquant pourquoi il fallait attaquer le Mammouth, pourquoi l'école était en danger, pourquoi l'avenir des enseignants et des élèves était inquiétant. Au bout de quelques minutes, j'étais convaincue : je suis allée au bureau des surveillants et ai averti que je faisais grève cet après-midi et qu'il fallait donc prévenir mes Lions.

Dans le bus, en rentrant, j'avais ce sentiment étrange et quelque peu désagréable que j'ai quelque fois connu lorsqu'il m'est arrivé de sécher les cours dans ma scolarité : celui d'être autre part que là où on devrait être. Car, pesons bien les circonstances : qu'est-ce qui motivait réellement mon choix de ne pas assurer mes cours ? Une réelle conscience révoltée et militante, ou bien plutôt le désir de ne pas affronter aujourd'hui mes féroces Lions ? Je me suis sentie dans la position de mes élèves qui en octobre faisaient la grève eux aussi et dont je questionnais ainsi les motivations réelles.

Mais arrivée chez moi, je n'ai pas pu travailler ou profiter tout autrement de ce temps imprévu qui m'était offert. J'écoutais les informations, cherchant à me forger ma propre opinion parmi toutes celles que j'entendais à la radio. J'ai réfléchi. A l'école, à la place que je voulais y tenir, et à l'enseignement que je voulais y donner.

Finalement, lorsqu'une de mes collègues est venue me voir, en début d'après-midi, je l'ai suivie : je l'ai rejoint, elle, et les centaines de profs qui défilaient dans les rues d'Evaville.

Voilà, ma première manifestation en tant que professeur : ça y est, je crois que je suis baptisée...

Eva.

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