27 mars 2000

L'autre jour, au journal télévisé, au milieu de bien des paroles parfois fort embarrassées, le Premier Ministre a sorti cette phrase de Pascal : "Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà." Cette pensée pyrrhonienne ne m'a jamais paru autant d'actualité qu'en ce moment, étant donné les récents événements dont je me sens malgré moi au coeur. Tout se passe comme si en effet la vérité changeait au fur et à mesure qu'on change de méridien. La vérité s'énonce différemment selon les frontières que l'on franchit et le pays d'où l'on décide de la contempler.

Revenons sur ces derniers jours... Vendredi, je fais la grève. Je suis alors persuadée que la voie que les autorités veulent imposer à l'école n'est pas la bonne : au nom des Temps Modernes et du développement des nouvelles technologies, on veut la réformer - certes - mais au prix d'heures d'enseignement en moins, au prix d'un savoir "light" (il ne faut pas que les enfant deviennent trop intelligents tout de même, car cela risque de les fatiguer), au prix d'une égalité remise en question. Vendredi, je fais la grève pour toutes ces raisons là : parce que je ne pense pas que le lycée doit se transformer en lieu de vie animé par des enseignants transformés en moniteurs de colonie de vacances, parce que baisser les exigences en matière de savoir et de méthode au profit d'un pédagogisme roi ce n'est pas aider l'enfant qui débute dans la vie à éveiller son intelligence et son esprit critique. Ok, vous me suivez ? Voilà pourquoi je fais la grève.

Et qu'est-ce que j'entends le soir même aux infos ? Que les profs sont intransigeants et réactionnaires, qu'ils refusent en bloc toute idée de réforme, préférant se réfugier dans un passé dépassé et incapable de marcher dans le bon sens - celui du Progrès bien entendu. Les journalistes nous jettent à la figure notre prétendu "immobilisme". Et aujourd'hui, qu'est-ce que je trouve dans mon casier au lycée ? Le même discours politiquement correct, mais cette fois-ci prononcé par son auteur lui-même : le Ministère de l'Education Nationale. Celui-ci a édité un contre-tract qu'il a distribué aux enseignants, aux parents et aux lycéens. Il revient sur tous les points critiqués et dit que ce ne sont que des "foutaises", comme le dirait ma petite Hannah dans son langage peu châtié. Enfin, le Ministère parlant mieux que mon chaton, dit exactement : "Certains d'entre vous sont destinataires de tracts sur la réforme du lycée. Ceux-ci diffusent des informations, soit déformées, soit fausses." Et d'ajouter qu'il y a une "une véritable campagne de désinformation".

J'aimerais bien qu'on m'explique de quel côté elle est la désinformation : du côté des professeurs qui dénoncent, comme ils le peuvent, les dangers d'un enseignement à qui l'on vole toute ambition, ou du côté des journalistes qui répètent mécaniquement les discours tout faits des autorités ? Pourquoi nos voix sont déformées ? Pourquoi les journaux sont-ils incapables d'énoncer les véritables causes de notre mécontentement ?

Mais je n'ai jamais su être militante, ni même seulement développer des idées politiques solides. Je regarde juste ce que je vois autour de moi et j'essaie de donner à mes décisions la bonne direction. Aujourd'hui, nous avons un nouveau Ministre. C'était l'excitation suprême, dans la salle des profs, à l'annonce de la nouvelle. Moi je n'ai rien dit... J'attends de voir, et me dis que vraiment je n'aimerais pas être à la place de ce Monsieur là... Car il ne suffit pas de sous pour faire une nouvelle école, mais des idées.

Eva.

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