Lorsque je sortais du métro, à la station Cluny-Sorbonne, je passais à
chaque fois juste devant les vestiges du musée de Cluny, sur le Boulevard
Saint-Michel, sur le trottoir de droit (en allant vers la Seine). A chaque
fois, à cet endroit très précis, je voyais un homme, d'un âge indéterminé,
habillé d'une grande veste d'un âge elle aussi indéterminé. Il jouait d'un
tout petit harmonica. Ce qui était impressionnant et qui attirait mon
attention, c'était qu'il avait un énorme nez rougi par les intempéries ou
bien par d'autres substances plus artificielles. A vrai dire, je ne me
rappelle vraiment de cet homme que son nez. Je ne voyais pas sa bouche, et
j'avais l'impression que c'était avec cette excroissance nasale qu'il jouait
de la musique. J'étais triste de le voir ainsi avec son nez et son
harmonica, parce qu'il était là chaque jour, même lorsqu'il pleuvait ou
qu'il neigeait. Et en même temps, sa place sur cette portion de rue me
semblait aussi institutionnalisée que celle des gardiens en costume aux
portes de la Sorbonne, des étudiants à la terrasse des cafés sur la place
près de la statue d'Auguste Comte, ou encore des touristes regardant entre
les grilles du musée de Cluny et hésitant à entrer dans ces lieux médiévaux
bien moins connus que le Louvre ou Orsay.
Mercredi, lorsque je suis repassée dans ce quartier, le monsieur au nez musical était toujours là. Il avait juste changé de trottoir. Maintenant il est juste devant le lycée Saint-Louis, en face de la Sorbonne. Il ne joue plus pour les gens pressés sortant du métro qui ne l'écoutaient pas, mais pour les jeunes lycéens passant leurs dernières épreuves de bac... et qui ne l'écoutent pas non plus. Mercredi, c'était le jour de la fête de la musique. En fin d'après-midi, il y avait déjà pleins de petits orchestre partout. Les gens se regroupaient autour de ces groupes plus ou moins amateurs, heureux d'entendre s'envoler quelques notes de musique dans leur quartier habituellement si muet (mais pas silencieux pour autant avec les bus et les voitures). Le monsieur au nez musical soufflait toujours dans son harmonica. Mais personne ne le regardait, lui. Personne ne l'écoutait. Il faisait sans doute trop partie du décor. Et il en faisait tristement partie, dans une présence quotidienne, au contraire des autres qui n'étaient là que pour une soirée. Je voulais juste lui rendre un tout petit hommage. Pour qu'au moins une personne qui me lit songe à jeter un long regard sur lui la prochaine fois qu'elle sortira du métro Cluny-Sorbonne. Eva.
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