25 juin 2000

Toute l'année, je me suis sentie handicapée à vivre dans une petite ville de province sans voiture. A Paris, une voiture, c'est un luxe. Ici, c'est une nécessité. Une contrainte de la nature, pourrait-on dire. Plus encore, avoir une automobile, c'est normal. A tel point que celui qui n'en a pas ne semble pas tout à fait normal, pas bien intégré en tout cas. Toute l'année, j'ai été la petite Parisienne qui avait gardé ses habitudes citadines et qui se déplaçait en transports en commun. Seulement il n'y a pas de métro à Evaville. Seulement des bus qui passent toutes les demi-heures et qui en général sont réservés aux collégiens et aux vieilles dames. Je me souviendrai longtemps de ces interminables moments d'attente dans le froid pour prendre ce bus de 7 heures 13 rempli d'élèves. Et de ces regards suppliants que je lançais dans la salle des profs aux gentils collègues motorisés ("dis, tu pourrais pas me raccompagner s'il te plaît ?") qui, en réponse, jetaient sur moi un oeil compatissant. Je me rappellerai aussi un bon bout de temps de ces retours angoissés de courses les bras chargés de sacs eux-mêmes chargés de provisions. A un instant stratégique (en traversant la rue, ou en montant les escaliers), ça n'y manquait pas, un sac en plastique craquait et je me retrouvais avec mes tomates roulant dans le caniveau ou bien le pied assommé par une boite de conserve qui avait choisi le bon endroit pour vérifier la loi de la gravité.

Je savais depuis longtemps qu'il me fallait une voiture. Mais redoutant les démarches à entreprendre (je ne connais rien en automobiles, et ça ne m'intéresse pas du tout) et aussi les frais que ce nouvel engin allait imposer à mon budget, je regardais les petites annonces d'un oeil en coin en remettant à chaque fois l'achat à plus tard.

Mais j'ai appris il y a quelques jours que j'étais nommée titulaire remplaçante. C'est-à-dire que je vais passer mon année à aller d'un lycée à l'autre, sur une zone aussi grande qu'un département (heureusement, celui dans lequel je suis cette année). Comme j'habite une région somme toute assez rurale, un certain nombre d'établissements ne sont accessibles à partir de chez moi ni en train ni en bus (à moins bien sûr d'être prêt à rouler deux heures pour faire une cinquantaine de kilomètres ou d'attendre une journée pour rentrer chez soi). En recevant ce résultat de mutation, je comprenais bien que désormais la nécessité d'avoir une voiture était une réalité.

J'ai hésité quelque temps : voiture neuve ? occasion ? garage ? particulier ? Renault ? Peugeot ? Citroën ? Essence ? Diesel ? Je suis allée voir quelques vendeurs qui m'ont tourné la tête.

Et puis vendredi, je me suis décidée. Je suis aujourd'hui propriétaire d'une petite Twingo toute neuve et toute belle. Je dois dire que c'est la forme et l'ingénieuse malléabilité de cette auto qui m'a fait craqué sur elle. Bien entendu, le prix est très élevé pour moi. En remplissant le contrat de vente, le vendeur m'a vue devenir soudain toute pâle, prise d'un mutisme impromptu. "Hé bien ! Vous n'êtes pas heureuse Mademoiselle ?". Sûr que lui était au sommet de sa joie. Il ne doit pas vendre des voitures neuves tous les jours. Cela se voyait d'ailleurs sur son visage et dans son attitude : dès que j'ai dit que je prenais la voiture, il s'est mis à devenir tout guilleret et tout souriant. Moi, je me rendais compte que j'achetais là l'objet le plus cher de toute ma vie jusqu'à maintenant. J'étais un peu en sueur en signant le chèque. Je me suis même trompée d'un zéro et j'ai dû le refaire.

Je vais avoir la voiture dans une dizaine de jours, le temps d'être livrée et aussi d'établir les papiers. Conduire une voiture toute neuve m'intimide énormément. D'autant plus que depuis six ans que j'ai mon permis de conduire j'ai rarement pris le volant d'une voiture. La seule voiture que j'ai conduite est celle de mes parents, avec bien souvent mon père à côté de moi qui allongeait son pied droit à chaque fois que je dépassais le 50 km/heure et qui criait "Attention au stop !" plus de 500 mètres avant le carrefour. Mais j'imagine que je vais vite vaincre mes peurs. Et puis je serai fière en arrivant au lycée : je ne me cacherai plus en sortant du bus avec les petits élèves de Seconde en croisant un de mes Poulpes au volant de sa propre voiture entrant dans le parking de l'établissement.

Eva.

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