28 juin 2000
3 heures du matin...

Ma page d'hier, écrite il y a quelques heures, tentait bien maladroitement de cerner les rapports entre l'écriture et la vérité. Je suis restée sur une réponse à mon goût bien insatisfaisante. Mais cette nuit, je pose une question qui n'a plus rien de stylistique, et encore moins de métaphysique. Cette question paraît simple, et la réponse m'est en ce moment vitale : est-ce que l'écriture peut combattre la peur ?

Il y a quelques minutes j'ai eu très peur. Je cherche maintenant une solution pour me calmer et espérer pouvoir m'endormir. A part me bourrer de somnifères, je ne vois que l'écriture...

En ce moment, je ne fais pas grand chose de mes journées, et comme c'est la fin de l'année scolaire et les derniers jours à Evaville pour beaucoup de copains qui vont déménager, j'accumule depuis quelques jours les sorties nocturnes avec mes amis d'ici. Rien de bien spécial. Ce soir, c'était une soirée crêpes chez une amie qui va bientôt s'en aller car elle a la joie d'être mutée sur Créteil. On a mangé, on a discuté, on a rigolé, et du coup il était presque une heure du matin lorsque je suis rentrée chez moi. J'étais fatiguée et je me disais que j'avais décidément besoin de sommeil. Par acquis de conscience, j'ai voulu tout de même terminer cette page que j'avais commencée avant de partir. Je pianotais sur mon ordinateur, effectuant les gestes habituels de mises en page afin de mettre en ligne ma page... Tout d'un coup, j'entends un grand bruit brusque et sourd, ressemblant à un ballon gonflable qui éclate. Je regarde autour de moi. Ce n'est pas Hannah : elle est à mes pieds. Ce ne sont pas les poiles dans l'évier qui seraient tombées : elles sont toujours en équilibre. Ce n'est pas non plus mon frigo qui soudainement exploserait : tout a l'air de fonctionner. Ne pouvant identifier le bruit, je me dis finalement que ce n'est rien et je retourne à mon occupation. Mais un deuxième éclatement survient, puis un autre, puis encore un autre. Je commence à m'inquiéter. Je regarde partout, mais tout a l'air en place chez moi. Je ne comprends pas d'où peuvent venir ces coups sourds et espacés dans le temps. Je me tourne vers la fenêtre, un peu machinalement.

C'est alors que je me suis aperçue que le carreau de ma fenêtre était largement brisé. Je pouvais distinguer un épicentre dans l'éclat, dont le cratère était tourné vers l'extérieur de la vitre. C'était probablement un caillou qui était venu s'échoir contre mon carreau et qui ne l'avait pas totalement brisé pour la seule raison que mes fenêtres sont munies de double-vitrage. J'habite au troisième étage et il est impossible qu'un coup de vent ait pu lancer si haut des projectiles capables de briser une vitre. Je me penche, sans ouvrir la fenêtre. J'ai alors vu un homme, en bas de chez moi, qui, visiblement guettait ma fenêtre, sans la quitter des yeux et qui cherchait à attirer semble-t-il mon attention. Si c'était un prétendant, j'ai trouvé ses manières si peu cavalières qu'au lieu d'ouvrir la fenêtre pour essayer de comprendre ce que cet homme me voulait, j'ai éteint la lumière pour ne plus qu'il puisse me voir, et je me suis mise loin de la fenêtre, de peur qu'un dernier coup de caillou puisse définitivement briser ma vitre et ne m'arrive en pleine figure. Lorsque j'osais me pencher, je le voyais toujours là, sans savoir si lui il pouvait me voir. A un moment, il a fait des signes avec ses doigts, mais je n'ai pas compris si c'était un geste d'appel ou bien un geste obscène. Plusieurs minutes plus tard, alors qu'il devait être tout de même deux heures du matin, il était toujours là. Cette fois-ci assis dans une voiture. Lorsque je me suis rappelée que suite à mon étourderie de l'autre jour, quelqu'un depuis deux semaines se baladait dans Evaville avec tous mes papiers (quasiment tous avec une photographie de moi), avec mon agenda racontant une bonne partie de ma vie (mes rendez-vous, les téléphones de mes amis, de mon travail, sûrement l'adresse de ce site quelque part sur un bout de feuille), et surtout mes clés... mon coeur s'est mis à battre plus fort. Je ne savais pas quoi faire. J'ai fermé ma porte à double tour, puis j'ai cherché le numéro du commissariat de police, sans me décider pourtant à appeler, me demandant si je n'étais pas là en plein cauchemar.

Mais le gnon dans la vitre est bien là pour me prouver le contraire.

Maintenant, il est 3 heures. Le type a fini par partir. Mais j'ai peur qu'il ne revienne... C'était qui cet homme ? Je ne peux pas croire que quelqu'un que je connaisse soit aussi débile pour m'appeler à 2 heures du matin en envoyant des cailloux sur ma fenêtre. Dans une tragédie de Shakespeare racontant l'histoire d'une douce à son balcon et d'un amant à ses pieds, cela peut paraître très romantique. Mais là, vraiment, je ne trouve pas. Alors ? Un satyre ? De vagues souvenirs de films d'horreur me viennent en tête lorsque j'envisage cette solution, et cela ne me rend pas très sereine. Un homme saoul qui sortait d'un café de la nuit d'à côté ? Mais il n'avait pas l'air du tout titubant, et semblait avoir de la suite dans les idées. Un Poulpe qui voulait faire une farce à son ancienne prof ? Moi, je trouve ça pas drôle du tout du tout...

La peur est un sentiment horrible. Elle se nourrit d'elle-même. Un effet crescendo : petit à petit, elle s'accroît, sans se soucier de trouver un fondement dans la réalité à sa naissance, et encore moins à son développement. J'avais eu le même sentiment il y a deux ans, lorsque je passais les écrits du concours pour devenir professeur : à trois heures du matin, alors que je parvenais péniblement à m'endormir, alors qu'il restait seulement quelques heures avant ma deuxième épreuve, le téléphone avait sonné et j'avais pu entendre un homme prononcer mon prénom et me lancer des injures obscènes. Si c'est encore une fois un de ces détraqués, je trouve cela lamentable. Quelle sorte de plaisir peut-on ainsi éprouver à effrayer les gens ? Plaisir sadique de dominer autrui ? Excitation suprême à provoquer de façon aussi vile des femmes qui se trouvent ainsi démunies ? Tout cela me dégoutte...

Je ne comprends rien à cette histoire. Et je me demande si je vais arriver à dormir avant le jour...

Eva.

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