Bonjour Fred, Bonsoir Eva... Tu n'écris pas en rose ce soir ! Parce que la vie n'est pas rose, parce que ton coeur n'est pas rose, mais gris comme tes lignes, gris comme le ciel, gris comme le bleu de tes yeux ?
Allez, racontes-moi...
C'est moi. C'est moi qui suis de retour. Mais pour me lire, assieds toi et prends un gros paquet de mouchoirs. Des mouchoirs bien résistants. Enfin, je ne sais pas si tu en auras vraiment besoin. Tu ne m'es pas si cher que ça, tout de même, tout virtuel que tu es, pour pleurer avec moi. Et puis, remarque, je n'ai pas encore pleuré. Peut-être que ça ne va pas tarder, car juste au moment où je t'écris le ciel, lui, pleure à chaudes larmes d'orage. Est-ce que tu devines pourquoi j'ai des raisons d'être triste aujourd'hui ? Non ? Rappelle toi : je te disais, il y a une semaine : "dans une semaine, j'aurai les résultats de mon concours". Donc, si tu calcules bien, nous sommes la semaine fatidique. Plus encore, nous sommes le jour J.
Ou plutôt le jour E. E comme "Echec", E comme "Et voilà je suis désormais en vacances forcées", E comme "Est-ce que la vie est si horrible que ça ?".
Bon, tu es intelligent, et tu as compris. Pas besoin que je te dises si ces résultats étaient positifs ou négatifs. Voilà au moins l'avantage de l'écrit : c'est tellement plus facile d'écrire ces choses qu'on ne veut pas dire, ces choses dont on ne voudrait pas qu'elles soient arrivées. Tu n'es pas là pour me tendre un mouchoir, certes. Mais je ne suis pas là pour voir les yeux désolés et gênés que tu aurais jetés sur moi si tu avais été là. Je n'aime pas ces regards là. Je n'ai pas encore eu à les affronter aujourd'hui, et je redoute d'avoir à le faire. Je sais qu'ils vont me rappeler un certain autre jour. Un jour orageux d'été, comme celui-ci, où j'ai appris un autre échec cuisant comme celui-ci. C'était le jour des résultats des oraux d'un autre concours difficile. Là ils ont une façon sympa d'annoncer les admis : ils énoncent à haute voix la liste des nouveaux membres de leur grande école, par ordre de classement. Et toi, valeureux candidat, tu attends, noms après noms, que ton patronyme soit prononcé. Et donc ce jour là non plus, je n'étais pas dans la liste. J'ai été contrainte d'écouter les 75 noms, en espérant à chaque fois que le prochain serait le mien. Mais le pire, ce n'était pas ça : c'était que c'était le jour de mon anniversaire (mes 21 ans) et qu'autour de moi, les camarades, les copains, les profs, ne me disaient pas "bon anniversaire Eva" (enfin ils m'appelaient pas encore Eva...), mais "bon anniversaire quand même". Et crois moi, ce "quand même" a rendu ce jour là encore plus terrible que celui-ci.
Donc je suis triste. Mais c'est pas si grave. Enfin si, c'est grave. Mais je vais m'en remettre. Je n'ai pas tant vécu que cela jusqu'à maintenant, mais j'ai appris au moins ceci : c'est qu'on se remet de tout, même des trucs les plus "inremettables". Il faut juste que j'accepte de ne pas avoir "mention très bien" à chaque fois, ni d'être toujours la première en tout ce que je fais. Même si je sais bien que je n'ai jamais pu l'accepter jusqu'à maintenant, et que le jour où je m'y résignerai, c'est que je ne serai plus vraiment moi-même. Car tu me demandes pourquoi je me lance des défis comme ça - pédaler à toute allure sur mon vieux vélo, nager toute la longueur de la piscine sans respirer... Mais sache que ce ne sont pas les exploits sportifs qui m'intéressent (si c'était le cas, j'aurais du travail crois-moi !). C'est juste que j'aime me fixer des objectifs impossibles, car je ne me sens jamais autant vivre que dans ces moments où tout mon être est tendu vers le but que j'ai décidé d'atteindre et auquel j'ai tout sacrifié. Toi, tu dis que je suis "frapadingue". Je ne vais pas te contredire. Tu as peut-être raison ! Mes parents se demandent souvent si je suis vraiment leur fille, quand ils me voient comme ça me donner à fond dans tout ce que je fais, alors tu vois ! Tu peux rajouter cela à mon puzzle : la pièce "volonté", ou quel que soit le nom que tu veuilles lui donner.
Alors bien sûr, aujourd'hui je suis triste. Je suppose que je serai encore triste pendant plusieurs jours. Jusqu'à ce que je trouve quelque chose de nouveau à vouloir, un autre but inaccessible à atteindre. Si mes larmes arrivent, laisse-moi les laisser couler sur ma joue. Les laisser couler tout doucement pour qu'elles me rappellent qu'elles ont un goût salé.
Tes yeux dans mes yeux, tu peux voir que le blanc autour des pupilles bleues est devenu un peu rouge. Mais mes yeux vont pouvoir de nouveau regarder dans tes yeux et se lancer avec eux dans ce projet que nous pouvons juger lui aussi, à sa façon, impossible, non ? Et mes yeux vont aussi pouvoir désormais envisager cette nouvelle vie qui s'annonce, cette future nouvelle ville qui attend pour se découvrir à eux, ce nouveau métier - que dis-je ce premier métier - qui sera le mien dans trois mois. Car sachez le, lecteurs (si vous existez), j'ai aujourd'hui échoué à un difficile concours, mais, malgré cela, en septembre un difficile travail m'attend, quelque part, dans une académie de France. Peut-être qu'en fait il sera encore plus terrible que ce concours où un jury n'a pas voulu de moi : enseigner à de chères têtes blondes, ou plutôt de chers adolescents boutonneux, ce qui m'a moi-même été appris lorsque j'étais une de ces têtes blondes et un de ces visages acnétiques...
Tu vois, cher être virtuel, je le prends bien, quand même, non ? Pour l'instant je n'ai usé qu'un seul mouchoir. Il est vrai que cela fait seulement quelques heures que j'ai appris le résultat, et peut-être que je ne me suis pas encore rendue compte combien c'était affreux. En tout cas, tu peux remercier les conducteurs de métros et de bus de la ville de Paris, car ils m'ont obligée à traverser à pieds presque toute la capitale pour aller voir que je n'étais pas sur cette fichue liste d'admission. Tu dis que c'est une "frapadinguerie" de plus que de faire des trucs comme ça. Enfin je crois que c'est ton entourage, ces "on" inconnus et énigmatiques qui entourent chacun notre vie qui disent ça, puisque toi spontanément tu n'hésites pas à braver la pollution citadine en t'imposant de telles petites ballades à pas de course. Donc, si ça peut te rassurer, nous nous ressemblons un peu (ou plutôt nous nous influençons l'un l'autre), car, même si c'est parce que je ne n'avais pas le choix à cause de la grève des métros, j'ai tout de même moi aussi fait 5 ou 6 km à pieds presque en courant. La conclusion, c'est que je confirme, vu ce qui m'est arrivé aujourd'hui, que ce n'est pas un truc idiot : marcher m'a au moins calmé les nerfs. Moi je dis que la marche et l'écriture sont les deux meilleurs moyens trouvés jusqu'ici à l'échec. Voilà ma morale du jour.
A bientôt, Fred. Je ne pleurerai pas, je te le jure. Ou alors en silence, sans sanglot. Bien sûr, je ne peux résister à passer une nouvelle fois la chanson de Barbara : Le Mal de vivre. Mais sais-tu pourquoi j'aime cette chanson ? Parce qu'elle est très triste, mais qu'elle se termine comme ça :
"et sans prévenir ça revient,
ça vient de loin,
ça s'est promené de rive en rive,
de rive en coin,
et puis un matin au réveil c'est presque rien,
et c'est là ça vous émerveille,
au creux des reins,
la joie de vivre, la joie de vivre....." (et là, Barbara dit ça en riant).
... je voulais te parler, je voulais te répondre, tu sais : faire ressembler cette page à tous nos mails, un enchevêtrement de couleurs où nous-mêmes finissons par ne plus très bien savoir qui a dit quoi... mais les mots ne sont pas venus, les sons pas sortis... Je ne me suis pourtant jamais senti aussi proche de toi, peut-être par culpabilité ? de t'avoir fait passer (perdre ?) tout ce temps à autre chose que ton but, d'être arrivé au mauvais moment, je ne sais quoi d'autre !!! Je n'y avais jamais songé avant mais la probabilité de cet échec existait et j'ai l'impression ce soir d'en porter une part de responsabilité... comme tout ce qui t'a détourné de ton objectif. Ce soir, j'ai une dette envers toi ; je te dois quelque chose... et bien plus qu'une salade un midi !!! (et là, Fred dit ça en riant... jaune).
@ ce soir, Eva !
Fred...
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