Cher être virtuel, Qu'est-ce qui se passe là ? Le mois de septembre est commencé depuis à peine quatre jours, et voilà déjà qu'on n'a plus le temps de se parler ! Pour une fois qu'il se passe des choses dans ma vie, des choses qui devraient me faire rougir ici des pages et des pages... Mais justement, il se passe tant de choses que j'ai du mal à suivre le mouvement. Et quand arrive le soir, après avoir avalé mon aspirine devenue depuis quelques jours quotidienne, je n'ai qu'une hâte, c'est d'aller dormir ! Mais ne t'inquiète pas, j'ai lu toutes tes histoires - les souris, Nathalie... Pour les souris, j'aurais aimé te demander leurs petits noms. Tu sais, donner un nom aux êtres, si infimes soient-ils, c'est très important. Regarde mon petit Friedrich ! Et pour Nathalie... pour Nathalie, je voulais te dire que non, tu n'étais pas en train de tourner à l'envers. Regarde moi avant l'été : moi aussi je vivais à reculons, penchée sur hier, de peur d'affronter aujourd'hui. Je suis sûre que comme moi en ce moment tu vas bientôt retrouver un aujourd'hui tellement fort que désormais tu ne penseras plus qu'à tes lendemains. C'est ce que je peux te souhaiter de mieux - même si ça donne mal à la tête le soir... Je voulais te dire tout ça. Et puis je voulais te raconter un peu ce qui m'arrive depuis le 1er septembre. Depuis quatre jours, je suis passée dans l'autre monde - le monde des gens responsables (?) qui travaillent. Je suis passée dans ce monde en franchissant une porte qui avait jusqu'à maintenant été pour moi toujours interdite : la salle des profs. C'est bien ce que je pensais quand je l'apercevais de loin, lorsque la porte était entrebâillée : c'est une salle très confortable avec de la moquette au sol et de bons gros fauteuils. Et là dedans ça ne fait pas seulement des photocopies et des cafés, ça parle, ça se montre les photos de vacances, ça revendique, ça se tutoie. Lorsqu'on est élève, on croit que les profs ne sont pas des gens comme tout le monde : on n'arrive pas à imaginer qu'ils peuvent avoir une vie après le lycée, et aussi des états d'âme et même des conversations idiotes. Mais en fait non : maintenant que je suis devenue prof, je me rends compte que le prof a une intimité ! C'est stupide ce que je raconte, mais ça me fait tout drôle de changer comme ça mes repères : avec mes camarades, qui ont pris désormais le nom de collègues, lorsque je prononce ce "ils" un peu lointain et mystérieux, ce n'est plus pour désigner l'espèce rare des profs, mais pour parler des élèves : "Ils sont sympas." "Ils sont infernaux et on ne peut pas les tenir." "Ils sont énervés et je vais leur coller un devoir supplémentaire pour les calmer." En fait non, les élèves ne sont pas si mystérieux que ça. Ils le sont encore pour moi car je ne les ai pas encore vus. Ma première classe aura lieu dans moins d'une semaine. Pour le moment, ils ne sont que des noms sur une liste. Si tu veux faire des statistiques, voici quelques chiffres : Ils sont 31, dont une légère majorité de filles. Il y a huit redoublants. Et les plus vieux ont cinq ans de moins que moi. Il y a une élève qui porte le même prénom que moi. Et deux ou trois dont je n'arrive pas à prononcer le nom, ni à savoir si derrière le prénom inscrit sur la liste se présentera une fille ou un garçon. Le jour où je vais me retrouver face à eux approche, et c'est à peine si j'ai eu le temps de préparer mon premier cours ! Il faut dire que mes journées ont été très chargées. D'abord j'ai beaucoup roulé. Mais à ça il faut que je m'y fasse : c'est le lot commun du professeur. D'ailleurs, c'est marrant, quand tu en rencontres un et que tu lui demandes d'où il est, il te répond invariablement : "à l'origine j'étais de..." Le prof est un nomade. Depuis quatre jours, je nomadise donc sur les routes de France. Mais comme tous ces kilomètres sont bien fatigants, et comme de toute façon je ne pourrais pas les réduire entièrement à néant, car figure toi que mon lycée se trouve en pleine campagne (la vraie campagne avec pleins de tracteurs et des champs), j'ai décidé d'habiter non pas dans la campagne (faut pas exagérer), mais dans la grande (c'est relatif) ville la plus proche. J'ai visité pas mal de studios, et aucun ne me plaisait - ils étaient tous trop petits, trop sales, trop loin. Et puis j'ai finalement trouvé le lieu dans lequel je voulais vivre. J'ai signé aujourd'hui et j'emménage demain. C'est... Non ! Je t'en parlerais demain ! Il faut ménager un peu de suspens ! @ demain depuis Evaville.
Eva.
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