5 septembre 1999

Salut Fredo,

Je t'ai promis tout à l'heure que j'écrirai un bout de page ce soir. Mais tu sais, je suis toujours aussi fatiguée ! Faut croire que je n'ai plus vingt ans, moi ! Cependant, il est trop tôt pour aller dormir tout de même. Je vais au moins attendre la nuit. Alors je peux bien passer la soirée avec toi.

Je t'écris donc depuis Evaville. C'est ma première soirée ici. On a commencé à déménager quelques affaires - juste le strict minimum vital : un lit, une casserole, un bureau, une chaise... et bien sûr un ordinateur, mais ça tu t'en étais déjà aperçu ! Ca me fait drôle d'être ici. Je n'ai pas encore trouvé mes repères. Je ne connais pas encore les bruits. Et puis tout à l'heure, en dînant devant un mur blanc, je me suis aperçue que ça faisait longtemps que je n'avais plus été seule comme ce soir. La solitude aussi c'est une chose à laquelle je dois m'habituer. Même Friedrich n'est pas encore arrivé ici.

Solitude est un bien grand mot. Car à vrai dire, je ne suis pas seule : il y a les cloches. Chaque heure, chaque quart d'heure, chaque demi heure, elles me chantent : "E-Va, E-va, E-va". Et à midi, c'est l'explosion de joie. Peut-être fêtent-elles mon arrivée auprès d'elles.

Mais il faut que je t'explique pourquoi je vis maintenant avec des cloches musiciennes... Je crois t'avoir dit que j'avais vu pas mal de studios. Et aucun ne me plaisait. Jusqu'à avant-hier. Jusqu'à ce que je tombe sur un type qui achetait des maisons pas seulement pour l'argent qu'elles peuvent rapporter, mais aussi par goût pour les vieilles pierres. Ce monsieur avait deux studios à me proposer. L'un était situé en face de la grande place commerçante d'Evaville, pas très cher, avec le chauffage central, des placards, un gardien et un ascenseur - mais aussi petit, sombre, et anonyme. L'autre était tout en haut d'un escalier très dangereux, très vieux et très étroit, plus cher, plus loin de la gare - mais aussi grand, lumineux, et habité par une âme. Enfin une multitude d'âmes : les poutres et les colombages sur les murs racontaient une très longue histoire. Je l'ai vu tout de suite. Il y a des maisons comme ça qui parlent. Je crois t'en avoir parlé un jour, non ? Alors tu aurais fait quoi, à ma place ? Tu aurais pris le studio fonctionnel, mais parfaitement banal, ou l'appart' pour acrobates entraînés, mais tellement charmant ? Tu aurais écouté ta raison ou ton coeur ? Je n'ai pas voulu écouter ma raison qui m'entraînait dans l'autre studio. Une fois que j'avais vu ce grand duplex dans la vieille maison en colombages, je n'ai pas voulu vivre autre part que là bas. Et voilà : ce soir, "là bas", c'est ici !

Ici, ce sont de grandes poutres sur un un vieux mur en pierre. Ici, c'est le soleil qui joue à entrer par toutes les fenêtres. Ici, c'est un grand toit qui déjà touche les nuages. Ici, c'est aussi une belle cathédrale gothique qui attire mon regard dès que je lève la tête, à tel point elle semble entrer dans la pièce. La cathédrale est là, devant moi. Grande masse d'histoire, de guerres et de foi. Emaux de pierres chantantes. Depuis quelques minutes, pendant que je t'écris, elle s'est illuminée, à la nuit tombante. J'ai tout de suite su que c'était elle qui allait m'éclairer cette année. Mon regard se perd dans ces tourelles. Je cherche une Esmeralda ou un Quasimodo : il n'y pas de raison, il n'y a pas qu'à Paris que les cathédrales doivent être habitées !

C'est déjà ma cathédrale, je le sais.

Eva.


Eva,

Voilà !!! Te revoilà...
Reparlons-nous, bien sûr, comme tu disais hier ; mais je comprends que toute cette agitation dont tu es le centre, ne te laisse que peu de temps à nous consacrer. Enfin, ce week-end t'auras tout de même permis de nous raconter tes premières impressions professionelles, et personnelles dans ces deux nouveaux chez-toi.

Pour avoir aussi vécu ces expériences (à l'âge de pierre, me disais-tu gentiment l'autre jour...), je me retrouvé grâce à toi cette fois-ci dans ma machine à remonter le temps pour aller re-visiter ces quelques classes dans lesquelles j'avais aussi sévi ; tu me diras quand le temps sera venu pour nous de faire nos pages "anciens combattants", il n'est pas l'heure pour moi de te raconter mes galères, même si d'autres ont du sans doute te décrire leurs débuts par le menu.

Quant à la cathédrale, puisque me demande ce que j'aurais fait à ta place... il ne m'aurais pas fallu plus longtemps que toi pour décider... moins longtemps même, car j'adore les escaliers... et les rollers !!!

Après la journée d'hier où je t'ai dit que l'on avait été rouler... et puis la sortie de cet après-midi, je voulais titrer cette page "rouler et roller..."

Donc, samedi "karting" mais comme notre piste n'était pas ouverte on est allé à l'aventure et on s'est fait plaisir... Oh, certes, il va falloir faire un peu de mécanique - je te passe les détails, mais on a fini sans freins - et aujourd'hui randonnée à travers Paris en rollers ; tu savais que chaque semaine était organisé ce genre de chose ?

Départ de Bastille vers 14:30 pour environ 20.000 personnes et retour trois heures plus tard en ayant parcouru 20, 25 bornes dans la capitale, encadré par des motards de la police, en grillant tous les feux rouges et en braillant dans les rues traversées sous les regards amusés des passants... Gare de Lyon, Nation, Père Lachaise, Colonel Fabien, Stalingrad, Place de Clichy, Opéra, Rivoli, République, Bastille... Jolie ballade !!!

Tous les âges, tous les niveaux, tous les styles sont représentés, la bonne humeur est de rigueur, bref de quoi passer un agréable moment. S'il y a des amateurs, je vous le conseille. Et puis, pour ceux qui ne pratiqueraient pas (encore) ou qui n'aimeraient pas le roller, vous pouvez participer aussi, en suivant en vélo, VTT ou autres objets roulants... J'ai même vu des flics en uniforme (tu sais Eva, ceux qui se ballade maintenant en VTT dans la ville !) encadrer le cortège en ayant troqué provisoirement leur vélo habituel pour une paire de patins ; c'est te dire si j'ai passé une journée inhabituelle !!!

Mais voilà, toutes les bonnes choses ont une fin, cette page aussi... et demain c'est la rentrée !
Alors, je te laisse dormir et à très bientôt pour ton premier papier sur ta nouvelle condition...

Promis ?

Ciao, Fred !

Précédente Septembre Suivante
Ecrire à Eva...Ecrire à Fred...