3 octobre 1999

Bonsoir Fred,


Des nouvelles de mes champs.

La vie sous les Tropiques doit être très triste (comme l'a dit un certain Monsieur, d'ailleurs). Te rends-tu compte que les gens qui vivent là bas n'ont pas de saisons ? C'est vrai que je ne parle là que par ouïe dire, car je n'ai jamais quitté l'hémisphère Nord, et je n'ai qu'une vague idée de ce qui se passe à la frontière de l'"orange bleue" (comme le dit un autre Monsieur). Mais je sais qu'à chaque fois que je suis allée dans des pays chauds ou des régions du Sud, au bout de quelques jours à peine, je m'ennuyais fermement, car là bas, la vie sous le soleil est au fond monotone : lorsque tu te lèves le matin, tu n'as pas besoin d'aller à la fenêtre vérifier le temps qu'il fait (c'est ce que je fais chaque matin, sans exception, c'est une sorte de rituel), puisque de toute façon, quoi qu'il arrive, il fera beau et que tu pourras t'habiller de la même façon que le jour précédent. Je ne veux pas dire par là que j'aime la pluie. Au contraire, j'ai détesté cette pluie qui a inondé mon arche ce week-end. Mais j'aime ce qui se produit avec cycle. J'aime les cercles bien arrondis qui sans cesse retrouvent à la fin leur point de départ. En résumé, j'aime les saisons.

Et aujourd'hui, c'est l'automne qui est revenu. Ou c'est l'été qui est parti, je ne sais plus. Ou bien c'est l'hiver qui va bientôt poindre. Je ne sais pas dans quel ordre il faut regarder le temps - en partant du passé ou en envisageant l'avenir ? Quoi qu'il en soit, c'est l'automne. Un automne qui garde encore la caresse de l'été. La caresse de l'été, ce sont des champs de maïs qui sont encore debout et qui attendent patiemment l'heure fatale de leur décapitation. Pour moi, tant qu'il y a des couleurs dans les champs, c'est encore un peu l'été. Certes, le maïs n'est pas beau : il est tout grillé, sec, déjà mort semble-t-il, tout comme ces tournesols que j'ai aperçus au détour d'une route. Un champ pas encore moissonné au début d'octobre, c'est une vieille femme qui se farde pour aller voir son dernier amant. Elle est triste et terne, mais croit encore un petit peu en elle.

Tout à l'heure, en passant en voiture, j'ai eu envie de m'arrêter au bord de la route. Il y avait un agriculteur qui ramassait les derniers maïs. De minuscules boules jaunes tombaient dans son grand camion. Et j'ai regardé cet or lumineux qui venait de ces branches desséchées et qui coulait à flot dans un tracteur en forme de coffre-fort. C'était l'été qui s'en allait dans ces grains dorés.

Et puis, quelques kilomètres plus loin, sur des terres déjà rasées, c'était l'automne qui arrivait. J'ai eu envie de m'arrêter aussi lorsque j'ai croisé des chasseurs dans les champs d'à côté. Ils étaient habillés en vert foncé et en marron, couleurs des feuilles tombées des arbres, et ils marchaient en tenant leur fusil et en scrutant le ciel. Et j'ai regardé ces prédateurs.

Je me suis souvenu de tous ces automnes de mon enfance. Ces automnes où je volais un épis de maïs pour croquer à pleines dents la fin de l'été. Ces automnes où ces hommes aux longs fusils me faisaient peur, car c'était eux que je soupçonnais d'avoir assassiné l'été.

J'aime les saisons. Car après l'été, il y a l'automne et l'hiver, mais, après l'hiver, il y a toujours toujours le printemps.

Eva.

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