Fred, Il n'y a pas de quoi être déçu parce que je ne te raconte pas mon premier cours : il n'a lieu que jeudi ! Tu es impatient, je sais. Et moi donc ! Voilà des années qu'on en parle, des jours et des heures qu'on me dit ce qui va m'attendre... et rien ne se passe encore ! A force d'attendre, j'en suis même venue à ne plus avoir peur : il y a même, je crois, une certaine excitation devant cet inconnu qui m'appelle, devant ce devoir qui déjà je sens est le mien. J'ai parlé toute la journée de mon nouveau métier. Car il ne faut pas croire que parce que je n'ai pas encore donné mes cours, je ne fais rien ! Aujourd'hui, je suis allée à l'école des profs, dans un autre département. C'est une école où des professeurs ont reçu des formations d'autres professeurs, afin d'enseigner à de nouveaux professeurs comment être professeurs (tu me suis ?). Tu y parles beaucoup et tu écoutes les autres parler beaucoup. Les seuls absents, me diras-tu avec raison, ce sont les élèves ! Mais, malgré cette abstraction, c'est bien utile, car tu rencontres d'autres élèves-profs, comme toi. Ce matin, en écoutant mes camarades, je me disais que j'avais finalement bien de la chance, malgré mon exil dans cette ville inconnue. Les aberrations d'un système pas vraiment bien coordonné font que certains, entre les cours qu'ils donnent et ceux qu'ils reçoivent, doivent dans la même semaine voyager entre quatre lieux différents - et dépenser près de 2000 F par mois en déplacement ! Tu te rends compte ? Ca en devient presque surréaliste : passer quinze heures par semaine dans un train, à aller d'une ville à l'autre, pour apprendre un métier qui, en fait, ne s'apprend qu'en le pratiquant réellement avec des élèves, ça me dépasse ! Pas toi ?
Eva.
P.S. :
Il n'y a pas de raison que seule ma cathédrale ait droit à son bout de page, alors, puisque j'habite maintenant à la campagne (ou presque), je me suis dit que les champs que je traverse pour aller à mon travail, méritaient, eux aussi de pousser sur un coin de ma page rouge. Les champs aussi ont une histoire. Une histoire rythmée par les saisons. Aujourd'hui, je les ai bien regardés, pour t'en faire le compte-rendu. En ce moment, ils sont tristes. Tout leur dit que c'est l'automne. On les a violemment rasé avec de gros rasoir-moissonneur. On les a même brûlés pour certains d'entre eux, pour faire disparaître toute trace de leur fertilité estivale. Ils sont vides et tristes. Ils reçoivent bien la visite d'oiseaux noirs, mais je crois avoir compris qu'ils n'appréciaient pas beaucoup être dévorés ainsi des promesses de leurs semailles. C'est toujours nostalgique un champ, à l'automne. Je n'ai vu de vivant qu'un champ de maïs, et un autre de tournesols qui n'osaient même plus regarder en face le soleil. Je te dirai, la semaine prochaine, s'ils arrivent à dépasser le tournant de l'été finissant, sans trop déprimer...[à suivre]
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