24 octobre 1999

Salut Fred,

Mes pages restent vides en ce moment. Elles ne s'allument plus de la petite lumière verte du chiffre coloré qui vient habiter le calendrier du mois. Je ne sais pas pourquoi j'écris moins. C'est ce temps qui passe si vite et dans lequel je me perds si profondément que je n'arrive plus à retrouver la surface depuis deux mois. Ce sont ces journées qui ne se remplissent pas comme je le voudrais. Ce sont toutes ces nouvelles personnes que je croise tous les jours qui, pourtant, me laissent toujours dans la même solitude.

Ce week-end, j'ai réfléchi à tout ça, afin de retrouver la sérénité que j'ai perdue depuis quelque temps. Samedi, je me suis promenée dans les champs. Le vent soufflait fort, si fort que je n'arrivais pas à ouvrir les yeux sans pleurer de grosses larmes qui s'envolaient à chacun de mes pas. Je n'avais pas envie de pleurer. C'était juste mes yeux qui ne parvenaient pas à amarrer sur une terre ferme et sèche. Ils se perdaient au loin, plongeant dans l'arrondi de l'horizon qui coupait la planète. Je marchais contre le vent, suivant le chien de mes amis. Mes yeux brouillés de vent humide le distinguaient à peine dans sa course à travers les champs automnaux rasés de toute vie. Tout d'un coup, je l'ai perdu de vue. Et puis, l'instant d'après, il est réapparu, sautant de derrière un buisson, poursuivant un tout petit lapin brun.

J'aimerais te faire une belle interprétation de cette scène. Je ne sais pas moi, te dire que je me suis identifiée au petit lièvre, et que je m'enfuyais devant mes démons, ou bien au contraire que c'était moi le chien intrépide qui courrait après les restes de son passé effrayé. Mais, pour une fois, je n'ai pas envie d'interpréter ce que me donne la vie à voir. D'ailleurs, hier, quand j'ai vu ce chien et ce lapin, je n'ai pensé à rien. Ma tête avait été vidée par la tempête. Je ne pensais à rien. Ou plutôt mes pensées s'envolaient à chacun de mes pas, en même temps que le vent faisait couler mes yeux. Je n'étais ni triste ni heureuse. Mes larmes n'étaient pas des larmes d'émotion. Je pleurais juste mon oubli. Ma tête était légère. J'avais perdu mon corps, perdu ma conscience presque. Je marchais et j'oubliais que je marchais - que je marchais vers quelque part. Au fur et à mesure que mes yeux pleuraient des éclats de larmes qui s'envolaient sur cet océan de champs, j'oubliais que je vivais et surtout que j'avais à vivre.

Ce soir, mes problèmes sont toujours là, et je n'arrive toujours pas à en peser la réelle importance, mais les soucis paraissent maintenant si légers à porter, depuis qu'ils se sont envolés quelques instants dans un moment d'inconscience aérienne.

Eva.

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