21 octobre 1999

Hello Eva,

Un tout petit mot ce matin pour te réserver une primeur : Cette petite ligne bleue est la première tapée, sur les genoux, dans ce nouvel endroit...

Pas simplement la première ligne bleue, d'ailleurs ! La première ligne, tout court, puisque je viens d'allumer mon PC ici, pour la première fois...
... et voilà, c'est pour toi !!!

Ciao,
Fred


Voici des lignes rouges pour toi, en dessous de tes lignes bleues pour moi...

Je continue ma phase de désespoir commencée il y a quelque temps. Non, tu vas me dire que j'exagère, que le mot "désespoir" est trop fort, que je n'en suis pas à ce point. C'est vrai, c'est pas si grave. C'est juste que là, je commence à être vraiment fatiguée et que ce que je fais avec mes classes et ce que mes élèves font avec moi ne m'encouragent pas beaucoup. Je suis arrivée à un stade où j'aimerais de nouveau avoir quelques signes qui me permettent de continuer d'espérer qu'il va m'arriver quelque chose de bien dans ma vie. Mes poulpes m'usent. J'essaie un peu tous les moyens imaginables pour tenter de les tenir un tant soit peu en respect devant moi. D'abord je crie. Le résultat est nul, car à part déchirer mes cordes vocales, ça ne change rien. Ensuite, je menace. C'est une solution assez satisfaisante, sauf qu'au bout d'un moment, ça s'use, et il va falloir que je passe sérieusement à la phase de mise en exécution de mes ordres. D'ailleurs, je sens que demain il y en a un ou deux qui vont y passer et que je vais procéder à ma première exclusion de cours. Autre technique, c'est la tension affective : du genre "vous me décevez beaucoup, vous n'êtes pas à la hauteur de la confiance que j'avais mise en vous..." Ca, ça marche pas mal - en tout cas, ça tue plus, selon moi, que n'importe quelle solution discipinaire plus draconienne. Par contre, les prises de conscience tendance injures, du genre "vous êtes de vrais gamins, j'ai l'impression de faire cours à des Maternelles et non à des Terminales", ça les laisse ni chaud ni froid, à croire qu'ils n'ont aucun orgueil pour eux-mêmes. Quand au "O sur 20", ça n'a pas l'air de déclencher chez eux le sursaut de travail escompté. Bref, je n'ai vraiment pas l'impression de m'y prendre bien. Certes, je ne crois pas les laisser indifférents - je peux au moins me vanter de cela. Un collègue de mathématiques m'a dit que mes élèves parlaient du sujet que je leur avais donné pendant son cours (ce qui n'est pas le meilleur endroit et le meilleur moment, je te l'accorde !). Mais j'aimerais provoquer un peu plus de respect que je n'en ai pour l'instant.

Tu vas me dire que c'est normal, que je ne peux pas tout réussir du premier coup. Oui, je sais. Mais j'aimerais parfois passer outre ces longues périodes d'apprentissage et d'hésitations, et arriver tout de suite précisément au but.

Cet après-midi, après mes cours, je n'avais pas envie de travailler et de préparer des cours pour des poulpes qui allaient en faire des confettis, alors je suis allée au cinéma. Tu m'avais dit, il y a déjà fort longtemps, d'aller voir ce film, Coup de foudre à Notting Hill. C'est ce que j'ai fait, enfin. C'était mignon. Sauf qu'il y a un truc que je ne comprends pas dans ce genre de films. Tu te souviens, lorsque tous les amis de Hugh Grant sont à table, avec Julia Roberts, chacun se met à dire que c'est lui qui est le plus désespéré et le plus raté, afin de déterminer qui serait dans la situation la plus pitoyable méritant le dernier brownie ? C'est ça que je ne comprends pas : les désespoirs des personnages de cinéma ne sont jamais désespérants, et on se dit que finalement, on aimerait bien être à la place de ces personnages là qui se disent ratés ( ...ou du moins être à table avec Hugh Grant). Pourquoi la souffrance des personnages imagés a toujours l'air enviable, comme si elle était sublimée, alors que la nôtre, elle, est toujours si difficile à supporter ?

Eva.

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