30 novembre 1999

Bonsoir Fred,

L'année dernière, à la fac, je connaissais une fille dont la seule présence me stressait. Pourtant c'était une gentille fille, qui avait une conversation plutôt intéressante. Mais il suffisait de la regarder quelques secondes pour immédiatement recevoir en pleine figure toute la nervosité qu'elle transportait en elle, comme une lourde, très lourde charge. Tu sais, c'est ce genre de personnes que, dès que tu les aperçois de loin, tu as envie de changer de trottoir pour ne surtout pas avoir à leur dire bonjour. Ce n'était même pas de sa faute. Elle était le stress personnifié, c'est tout. C'était son caractère, son essence, ce qui la définissait.

Pourquoi je parle d'elle maintenant ? C'est parce qu'aujourd'hui il m'a semblé que j'étais devenue elle. Ca fait des mois que je ne l'ai pas vue, mais je suis aussi stressée que si j'avais passé les vingt-quatre dernières heures enfermée avec elle et sa nervosité dans un ascenseur. C'est encore une de ces crises de confiance qui m'est tombée dessus aujourd'hui - une de ces remises en question qui me fait douter de tout, à commencer de moi-même. Le stressé est un obsédé de l'avenir. Au lieu de vivre dans le présent, il ne pense qu'à ce qui va lui arriver et, forcément, il se persuade que tout ce qui va lui arriver est le pire. Pour lui le pire est toujours à venir, et à force de l'attendre avec tant de fermeté, il se persuade qu'il vit sans cesse dans le pire. Le futur se presse autour de lui, le compresse et l'oppresse.

Depuis quelques heures, je me sens cernée par cette obsession opprimante. Je pense à tout ce qui est à venir, à toutes les preuves et les épreuves que je vais avoir à subir bientôt, et ça me fait peur. Je n'aime pas ça.

Qu'est-ce qui a déclenché cette afflux d'anxiété, si ce n'est pas Miss Stress (appelons la fille dont je parlais plus haut ainsi, d'ailleurs j'ai même oublié son vrai prénom) ? Rien... enfin ces riens qui font tout, cette somme de petits riens qui s'accumulent. L'énervement contre la SNCF qui a changé ses horaires de trains, et qui m'a fait raté le mien, attendre plus de deux heures le prochain et arriver très en retard à Mardiville. Les réflexions attentionnées, mais fatales, de mes camarades : "tu as une petite mine, Eva". La comparaison des cours des autres avec les miens qui me semblent toujours si bancals. Le retour toute seule à Evaville (encore à cause des nouveaux horaires de la SNCF). Et puis l'appartement vide. Et Friedrich qui tourne en rond comme moi. Et les espoirs déçus. Et Barbara dont j'ai recommencé à me passer en boucle toutes les chansons. Et puis la nuit d'hiver qui tombe si tôt maintenant.

C'est rien tous ces petits riens. Pourquoi s'acharnent-ils à se compresser les uns aux autres pour venir me stresser ?

***

P.S. : Je ne veux pas rester sur un regard triste, Fred. Alors je vais continuer mon Arche, commencée il y a quelques jours :

L'arche de Noé, chapitre III.

Voici donc une chèvre que j'ai fait entrer dans l'arche de mon objectif photographique. J'aime bien les chèvres. On a toujours l'impression qu'elles se marrent. Une des grandes expériences métaphysiques de ma vie a été de découvrir un jour qu'une chèvre avait la même odeur qu'un crottin de chèvre (je parle du fromage bien sûr). Oui, je sais mon éducation agricole est à refaire (surtout si on ajoute que j'ai fait cette bouleversante découverte à l'âge de vingt ans). La chèvre est un animal que j'aimerais avoir si j'avais une ferme... Ah, je ne t'ai jamais parlé de ce rêve fou de vivre à la campagne dans une belle maison au milieu d'un grand champ, avec pleins d'animaux en liberté. C'est un rêve fou, car je me connais et je serais bien incapable de rester plus de trois mois loin de la ville. D'autant plus que j'aurais du mal à avoir les pieds suffisamment sur terre (et dans la terre) pour pouvoir m'occuper de tout ce petit monde. Mais peu importe, dans cette ferme imaginaire, il y aurait tout de même une chèvre. Un petit peu comme la petite chèvre d'Esmeralda, dans la version hugolienne de Notre-Dame de Paris (je ne connais que cette version, de toute façon) : tu sais, ce petit animal qui l'accompagne partout et qui a appris à écrire le nom des gens avec des lettres.

Ces petites chèvres là ont été photographiées un matin dans la montagne. Nous avions dormi dans un vrai refuge de montagnards. Un de ces refuges où les gens ont les yeux qui brillent lorsqu'ils regardent les hauteurs qu'ils vont escalader le jour suivant. Nous, nous n'étions que des randonneurs, et, alors que la plus grande partie des voyageurs étaient déjà partis depuis des heures marcher sur les glaciers, c'est seulement à six heures ce matin là que le gardien du refuge était venu nous réveiller. Il nous avait casé le soir précédent dans la petite mansarde du refuge, accessible par une petite échelle. Nous avions dormi tant bien que mal les uns sur les autres, dans le petit espace qui nous était imparti. Moi, j'étais à l'extrémité, tout près de la petite fenêtre. Ce matin-là, à six heures, la première fois que j'ai ouvert les yeux, j'ai vu toute une bande de petites chèvres, qui étaient venues tirer du lit les derniers montagnards. C'était comme une vision surréaliste. Je ne savais plus si je continuais mon rêve, ou si je recommençais comme tous les jours à revenir à la réalité.

Eva.

Bonsoir Eva !

Tu me demandais dans ton dernier mail, ce soir, si j'avais passé une bonne journée. Je ne sais pas !!! Seul, l'avenir peut dire si l'instant présent s'inscrit dans la bonne direction ; ceci dit, ce jour a du être une bonne journée.

En allant au Salon, je marchais dans le couloir du métro en imaginant Gargil comme il se décrit, observant les faits et les gestes, les gens ; et pour observer, on se sert de ... ses yeux !!! Bien, Eva ! Donc, je marchais en regardant les gens. Forcement à un moment donné, "les gens" était une jolie (très jolie...) jeune femme, plutôt petite, métis, bien habillée, l'air coquin, etc, etc...
Je la regarde arriver en face de moi, elle me regarde elle-aussi et aucun de nous ne veut "baisser les yeux" ou du moins détourner son regard, pour faire comme d'hab' celui qui trouve plus malin tout à coup de regarder les carreaux de faïence blancs, plutôt que la (jolie) personne qui est en face de lui !
Donc, on va se croiser et personne ne "cède" encore, et en passant à ma hauteur, elle fait un petit bruit avec sa langue (une sorte de claquement, comme dans ce film : "les Dieux sont tombés sur la tête"...), et je me dis "ce truc, là, qu'elle vient de faire, il est "à moi"...", pendant une seconde, j'ai rencontré quelqu'un dans le métro... C'est encore plus fugace, plus futile que sur internet, ça, non ?

Bon, la suite était moins "sexy" ; tous les gens dans ce ver de terre (tu sais, la ligne 1, avec le plus moderne des trains ; celui où tous les wagons communiquent et se tortillent aux articulations comme un ver...) étaient vêtu de couleurs tristounettes, s'appliquaient bien à ne pas regarder les autres où alors l'espace d'une fraction de seconde, comme si c'était une maladie contagieuse... Et c'est marrant de "jouer" comme ça, alors que d'habitude, je fais exactement la même chose.

Quelques contacts intéressants sur le Salon, là encore, l'avenir nous dira, et pour finir retour au bercail en passant par la case "entretien".
Assez long (plutôt bien puisqu'elle me dit "la personne que j'ai reçu avant vous est restée 20 minutes et on en est resté là..."), j'ai fait mes petites statistiques et quand c'est un cabinet de recrutement, je ne vais pas au bout, alors que c'est mieux quand les entretiens sont faits directement par l'entreprise ; question de feeling ? je sais pas, moi !

Bon, il ne faut pas vendre les jeux de l'ours avant qu'ils ne soient faits, donc "no (more) comment", réponse du grand jeu concours : bientôt !!!

... à suivre !

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