En théorie, mon travail est de monter dans les hauteurs de la pensée, là haut dans le ciel lumineux des Idées, et de faire entrer avec moi de jeunes esprits afin de leur faire oublier l'obscurité d'où ils viennent. Mais chassez la matérialité, toujours elle revient au galop. Ce matin, j'ai donné à mes poulpes une gravure représentant allégoriquement le temps, afin de lancer une réflexion sur la mort et l'irréversibilité du devenir qui toujours s'écoule. Les deux tiers des élèves ont passé leur temps à la colorier : un peu d'orange fluo pour la barbe du philosophe, un peu de vert pour les cheveux pour en faire un punk. Je leur ai dit qu'ils avaient raté leur vocation. Quant à mes fauves, ce sont vraiment des animaux. Je leur ai dit qu'ils étaient incapables de se comporter en êtres civilisés. "Mais non, M'dame !", m'ont-ils répondu, demandant à leurs voisins ce que signifiait le mot "civilisé". Il y en a un qui ne cesse de se faire chahuter par ses camarades, car, apparemment il a un estomac dérangé qui lui fait produire des rejets parfaitement naturels, mais fort désodorants. Imagines-tu que je suis obligée de dire à des jeunes de vingt ans : "je ne veux pas savoir qui a pété ni qui a roté !" Et en même temps que cela je suis sensée me mouvoir dans mon ciel de concepts et d'idées métaphysiques ! Le pire, c'est que tout cela m'amuse profondément. Lorsque je prends un ton, un air autoritaire, moi-même je n'arrive pas à me prendre au sérieux, et je fais énormément d'efforts pour ne pas me mettre à rire. Aujourd'hui, avec mes fauves, comme cela dégénérait complètement avec toutes ces histoires escatologiques, je leur ai dit : "on va jouer à un jeu : faire une minute de silence, par amour de la philosophie". Ils ont trouvé ça marrant. Ils ont regardé leur montre : "allez les gars, on se tait pendant une minute". Au bout de dix secondes, je me pinçais les lèvres pour ne pas éclater de rire. Ils étaient tous là, étonnés du silence soudain tombé dans la salle de classe. Au bout de trente secondes, ils continuaient toujours leur minute de silence, mais - en silence - se lançaient gommes et crayons. Au bout de quarante-cinq secondes, j'ai rompu la minute de silence, parce que - certes, toujours en silence -, ils commençaient à en venir aux mains. Ca n'a pas marché, car je ne leur avais pas dit cette évidence : faire le silence, c'est aussi ne pas bouger. La prochaine fois, on jouera à ce jeu des statues... Je ne sais plus comment ça s'appelle, tout cela est bien loin dans ma jeunesse. C'est ce jeu où il s'agit de rester immobile pendant un certain nombre d'instants. Celui qui a perdu est celui qui a bougé. Cela peut être une expérience intéressante. Je ne suis pas sûre qu'il y aura un gagnant pourtant. Avec tous ces amusements, le ciel des Idées restent toujours aussi haut, si éloigné de tout. Et la matérialité si près, si présente, si aliénante. Ah, on s'amuse bien pendant mes cours ! Même moi je m'amuse, c'est dire !
Eva. P.S. : Des nouvelles de mon chaton. Il est encore chez ses maîtres d'origine, à Miaouville, à deux cent kilomètres d'ici. Si tout va bien, je l'aurai à mon retour de vacances ! ![]()
As-tu remarqué ce "Salut"
d'un air enjoué, d'un ton badin ??? C'est que j'ai l'impression que ta page est celle de quelqu'un qui a retrouvé le
chemin sur lequel elle aime avancer. Ta page aussi elle a un air... je ne sais pas comment dire, mais ... un je ne sais
quoi de joyeux, comme si tu avais trouvé une clef pour avancer, pour faire avancer aussi. Oh, certes, peut-être pas dans
la direction la plus "conforme", la plus académique, mais ... tiens, j'ai lu ça hier ou ce matin, je ne sais plus ??? va
voir là em baixo, c'est comme ça qu'on dit ?
J'ai bien aimé ta minute de silence ; et effectivement tes petits diablotins
n'ont sans doute pas encore bien mesuré tout l'aspect solennel de ces quelques secondes égrenées... Dis-moi, il ne reste pas une place de libre dans cette classe, je reprendrais bien une tranche de philo, moi !!! Bon, trêve de matérialité, élevons notre âme !!! Bon, jusqu'à là, ça va ! on se dit : "Ok, pourquoi y dit ça, Fred ?". Attends Eva, ces américains ne font rien comme les autres :
Bon, je ne peux tout de même pas te laisser finir sur une note aussi amère, un petit truc sucré en
dessert ??? Regarde ce que je viens de trouver au fond de ma tablette de chocolat vide : Dis, M'sieur Gargil, tu crois qu'on peut en mettre dans la paëlla de ce chorizo-là ??? Excuses-moi, Eva, j'ai pas pu résister au deux-ou-troisième degré... Allez, sur cette(ces) jolie(s) petite(s) recette(s) sucrée(s), |
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