Sonate de
printemps


pour m'écrire






































hier demain
Samedi 13 janvier 2001

Je vais à la discothèque presque toutes les semaines choisir de nouveaux disques afin d'accroître ma culture musicale encore bien piteuse, et, du même coup, d'amplifier mon plaisir - lui aussi musical. Mais, curieusement, malgré toutes les musique que j'écoute, c'est presque toujours en fin de compte les mêmes morceaux qui, inlassablement, à dates régulières, reviennent tourner sur la plaque CD de la chaîne hi-fi. Une sorte d'éternel retour du même. Preuve de ma propre stagnation, dirait peut-être la perfide Hannah.

Ce soir, c'est la Sonate n°5 pour piano et violon de Beethoven - plus connue comme la "Sonate du Printemps". J'ai ressorti ce disque parce que l'autre soir à la télévision j'ai revu le Conte de printemps de Rohmer qui comprenait à la fin ce morceau célèbre. Il y avait dans ce film la fraîcheur d'une jeune fille à laquelle j'aurais aimé ressembler. Il y avait la pesante rationalité d'une prof de philo à laquelle je ressemblais. Il y avait l'amour d'un père qui ne ressemblait pas au mien. Et il y avait les fleurs qui renaissaient, la nature qui reverdissait et la campagne qui revenait.

J'aurais aimé que ma vie soit comme ce film le conte d'une saison - et, de préférence, d'une saison heureuse et pleine d'espérance. Ne pas faire tourner mon existence, mais l'arrêter sur un éternel printemps - ce premier temps de la nature si gros de promesses et de dons. J'aurais voulu que ma vie soit éternellement printanière. Elle aurait cette lumière piquante et insolente des nouveaux matins encore humides de rosée. Elle aurait ces couleurs vives et vivifiantes des jardins révoltés pris de folie. Elle aurait cette richesse d'une nature trop généreuse qui donnerait tout d'elle-même sans jamais s'épuiser. Elle aurait cette excitation des fraîches soirées qui s'allongent et s'étirent sans cesse jour après jour. Ma vie serait une saison musicale : le duo d'une voix grave et assurée - celle du piano - et d'un chant léger et aérien - celle du violon -, exactement comme dans la sonate de Beethoven.

Au lieu du printemps, ma vie semble en ce moment s'être arrêtée sur l'hiver. Un conte d'hiver bien triste. Au lieu de l'éclairage trop blanc et trop sec des matins ensoleillés d'hiver, ce sont les ciels bas et gris qui n'en finissent pas d'oppresser une nature qui se cache et qui sommeille. C'est le froid piquant et agressif qui paralyse les corps. C'est le silence d'une campagne désertée de ses habitants.

J'aimerais passer en accélérer les prochains mois. Inventer une année sans janvier ni février. Etre déjà en mars, en avril, et surtout, surtout, en mai. L'hiver, c'est la saison des tulipes. Mais au printemps, il y a les violettes, les myosotis, les primevères, les cerisiers fleuris, et puis aussi les premières roses. Pourquoi ne puis-je hiberner comme les ours ?

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Ce que je lis en ce moment : Des Inconnues - Patrick Modiano.
Le Diable par la queue - Paul Auster.