Lettres d'amour



pour m'écrire






















































































hier demain
Mercredi 17 janvier 2001

Pendant les vacances, chez mes parents, en cherchant tout à fait autre chose, je suis tombée sur un petit livre qui sent le vieux papier jauni et qui, au vue de ce qui est contenu à l'intérieur, doit dater du début du siècle (enfin, début du siècle dernier dois-je dire maintenant), ou du moins de l'avant-guerre. C'est un petit volume d'une collection populaire, au papier de piètre qualité et bon marché (je suppose qu'1 franc 80 ne représentait pas beaucoup d'argent, même pour l'époque). Le livre s'intitule fièrement Le Galant Secrétaire et se présente comme un "manuel complet de correspondance à l'usage des amoureux des deux sexes" : de la même façon qu'il y a dans cette collection le Grand secrétaire pour tous offrant pour "toutes les circonstances de la vie" des modèles de courriers officiels, de la même façon ce petit livret réunit des lettres d'amour et se propose comme des exemples types pour toutes les occasions de la vie amoureuse - depuis les demandes de rendez-vous jusqu'aux demandes en mariage, ou encore depuis les "lettres intimes" jusqu'aux lettres de rupture. Ce recueil est destiné à d'"aimables lectrices qui chercheront dans ce volume conseils ou inspiration". En tout état de cause, le premier de tous les conseils, affirme l'Avant-Propos, est d'observer une "réserve pleine de dignité" parce qu'"une forteresse prise trop facilement est rapidement dédaignée par le vainqueur".

J'ignore si cet ouvrage était à prendre au sérieux ou, du moins, à considérer comme un véritable manuel. Je devine, dans les personnages évoqués, que ce petit livre était destiné à des jeunes filles de milieux modestes - il est beaucoup question d'ouvrières, d'employées de magasin et même d'un "trottin" (le terme est charmant), et presque jamais de demoiselle "du monde". Les lettres écrites par les jeunes hommes sont toujours très longues, très expansives, alors que les réponses des jeunes filles sont presque toujours courtes et pleines de pudeur, rappelant les convenances et la bienséance et évoquant la présence des parents. Ces modèles de lettres, parfois racontant toute une histoire (de la rencontre à la tromperie et à la rupture), paraissent bien plus des textes destinés à faire rêver des jeunes filles trop romantiques en quête de prince charmant. J'ignore si alors qu'on était demoiselle on était séduit par de telles lettres, mais, moi, un siècle après, je ne peux les lire qu'avec un regard ironique et amusée. Le style des lettres masculines est lourd et emphatique, accumulant les interjections et les exclamations ("Oh ! je vous aime Mademoiselle !"), les métaphores hyperboliques ("vous êtes une déesse !") et le vocabulaire désespérément pauvre et convenu. Les amoureux sont toujours transis, suppliant à genoux la dame de leur amour - du moins au début (ensuite, ils se transforment en goujat, laissant tomber la maîtresse qu'ils ont mis enceinte !). Les jeunes filles sont polies et réservées pour la plupart, ne parlant d'amour qu'à mi-mots et ne pensant qu'au mariage, ou bien se disent outrées par les effronteries de ces messieurs ("je vous préviens que le sale billet que vous avez eu le toupet de m'envoyer est en circulation. Je l'ai remis à mes parents qui l'ont porté chez le commissaire de police" menace une jeune dame qui prévient que si elle revoit encore ce "malotru" qui lui a envoyé une telle lettre, elle viendra administrer une bonne "paire de gifles" à ce "vieux satyre" parce que, elle, elle n'est pas "une grue"!). Je me suis beaucoup amusée à lire ce petit livre, regrettant même que les derniers chapitres, consacrés à la façon dont on écrit une lettre et à un "petit traité de correspondance secrète" aient disparu (mon arrière-grand-père, à qui appartenait sans doute cet ouvrage, en a-t-il eu besoin un jour ? J'en doute, étant donné que la plupart des feuillets n'étaient pas encore coupés, mais j'aime penser à cette éventualité !). On y apprend en tout cas beaucoup sur la condition de la femme et aussi sur les relations amoureuses. Il est question tout le temps de mariage, mais on devine en même temps la légèreté des rencontres et la fausse retenue des jeunes filles qui, à vrai dire, paraissent bien souvent mener le jeu et, derrière leurs retranchements, dominer la situation. S'il n'était pas si niais et parfois si grotesque, ce petit manuel pourrait avoir quelque chose des Liaisons dangereuses. A vrai dire, il me fait plutôt penser à l'étude de Philippe Lejeune sur le journal de jeunes filles. J'imagine bien ces jeunes filles du siècle dernier recevoir (ou du moins avoir envie de recevoir) de telles lettres enflammées. Leurs lectrices devaient avoir la fraicheur et la fausse innocence de ces jeunes filles qui, dans leur belle écriture, se confiaient secrètement à leurs cahiers.

Pour vous donner une idée de ce Galant Secrétaire, j'ai recopié la première lettre du manuel. Comme toutes les lettres, elle est suivie d'une réponse de la jeune fille - soit favorable, soit défavorable.

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Ce que je lis en ce moment : Le Diable par la queue - Paul Auster.