No future. |
Vendredi 26 janvier 2001
Ce que j'écris en ce moment a peu d'intérêt, il faut l'avouer. Il suffit de relire la dernière page de ce journal (enfin, si vous avez le courage... moi je ne l'ai pas vraiment !). Ce n'est pas que je n'ai pas d'inspiration. Je pense dans la journée à bien des sujets de chroniques : un titre de livre, un visage croisé éveillent toujours en moi des idées. Mais, le soir devant ma page, je n'arrive pas véritablement à mettre toutes ces notions en mots. Encore une fois, ce n'est pas que techniquement, je ne parvienne plus à écrire. Mais c'est que je n'y trouve plus vraiment d'intérêt, je n'y vois plus le sens. Pourtant, ce n'est pas la faute de ce journal. Je ne crois pas que la source d'énergie qu'il m'offre soit déjà tarie. Non, cet ennui et cette lassitude latents qui transpercent dans mes écrits viennent à vrai dire de ma propre vie. Est-ce ce mois de janvier qui est si morose ? Est-ce cet hiver qui n'en finit pas ? Où est-ce vraiment ma vie qui piétine ? L'autre jour, dans le train, un jeune collègue de mon âge parlait de la maison qu'il vient d'acheter avec sa femme. Une grande maison avec pleins de chambres et un petit jardin pour leurs "futurs enfants", bien située près de la ligne du tram. Il parlait du crédit sur 15 ans qu'ils ont signé. Il décrivait la façon dont ils allaient rénover et aménager chacune des pièces. Et puis il répétait tout le temps : "C'est pour durer. On est installé là pour les vingt ans à venir au moins". Cette certitude portée sur l'avenir qui, lui, le rassurait tant, m'a donné à moi le vertige. A à peine 25 ans, la vie de cet homme semblait déjà toute tracée. J'avais même l'impression qu'il avait calculé à l'avance ses futures augmentations au boulot (certes, c'est facile quand on est fonctionnaire) et peut-être déjà programmé l'année de naissance des enfants. L'avenir semblait à ses yeux une ligne droite sans détour aucun. Ou du moins c'est ainsi qu'il voulait la voir. Moi, si j'envisage mon avenir, je vois deux choses : soit le trou noir complet et alors impossible de voir quoi que ce soit à proprement parler, soit une vie nettement dessinée, mais alors si désespérante que je n'arrive pas à vouloir cette existence là. En effet, si je veux être scientifique et m'adonner à une science exacte, je dois avouer qu'il m'est impossible de savoir ce que je serai, puisque le futur n'existe pas encore et que je ne peux rencontrer la personne que je deviendrai : il faudrait tenir compte de paramètres extérieurs (rencontres, accidents, maladies...). Donc impossible de savoir avec assurance mon avenir. Mais, maintenant, si je veux ne tenir compte que de moi-même (et alors inévitablement être plus pessimiste), cette vie future serait facilement imaginable, par transposition des caractéristiques de cette vie présente. Je me vois alors à 40 ans avec un boulot dont je me serais lassée mais n'ayant pas le courage de le laisser tomber et de me lancer dans une nouvelle aventure. Je me vois aussi dans un appartement vide à parler à mes chats dans une petite ville de province... Non, rien qu'à écrire cela, j'en ai des frissons dans le dos ! A vrai dire, la vie que je suis en train de vivre me plaît très moyennement (euphémisme). Ce qui m'aide à continuer c'est la croyance que cette situation n'est que momentanée et temporaire. Alors, si je la projette dans le temps sur le mode d'une durée, il est inévitable que je désespère vraiment. Pour vouloir m'inventer un avenir, il faudrait déjà réussir à me construire un présent. Et je rage de ne pas y arriver depuis quelques mois...
_______________________________________________ Ce que je lis en ce moment : L'enfant multiple - Andrée Chédid.
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