Une rose rose |
Dimanche 30 décembre 1990
Je crois que j'ai encore beaucoup, beaucoup de choses à apprendre. Je sais, il y a quelques jours, je disais que j'étais impatiente et que je voulais savoir tout sur la vie. Pourtant aujourd'hui j'ai l'impression de ne rien savoir du tout et justement d'avoir tout à apprendre. Apprendre à être heureux, apprendre l'amour, apprendre toutes ces choses que j'ignore. Apprendre à devenir, à être adulte. Apprendre la vie, apprendre la mort. Aujourd'hui, je ne suis pas pressée. La vie semble toute étalée devant moi. Une rose qui s'ouvre. Je suis le coeur de la fleur et les pétales sont tous les chemins de ma vie. Des chemins que je ne connais pas encore et que je vais apprendre à connaître. Ma rose - moi - est rose. Rose parce qu'elle est encore jeune, qu'elle a le rêve dans son coeur et l'amour dans ses yeux. Rose parce qu'elle a tout à apprendre, tout à connaître, tout à faire. Rose parce que pour elle l'espoir c'est l'avenir. Peut-être qu'un jour elle va devenir grande et va se teinter de rouge. Rouge parce qu'elle aura appris ce qu'était la vie, parce qu'elle saura. Rouge parce qu'elle aura ce qu'on appelle de l'expérience. Rouge parce qu'elle sera une femme et non plus une jeune fille. ***
Jeudi 22 février 2001 Cet hiver de mes 15 ans a la fraîcheur d'un printemps (ah, le lyrisme de la rose !) et en même temps la gravité d'un été qui n'aurait pas assez mûri. Il y a dix ans, j'avais l'impression de ne rien savoir, de ne rien connaître et que l'avenir s'inscrivait devant moi comme une page blanche à colorer. Aujourd'hui, j'ai toujours ce sentiment d'être prisonnière de l'ignorance et de l'innocence, comme si j'en savais tout aussi peu sur la vie et sur la pensée. Je continue d'allonger la liste des livres à lire, dans l'espoir d'arriver un jour peut-être à combler mes lacunes et à entrer dans le système enfin clos que constituerait le Savoir dans sa totalité. Je sais encore aujourd'hui que tout est à découvrir et à expérimenter. Seulement, je n'ai plus cet optimisme presque béat que j'avais à quinze ans. Le constat de mon ignorance est amer. Ce n'est plus à une rose en bouton que je me compare. Je n'ai plus ces illusions qui étaient si joyeuses, si prometteuses. Je sais ce que je ne sais pas et je connais ce que je n'ai pas - à défaut de l'être et de le posséder véritablement. La conscience de mes manques, de mes lacunes et de mes incertitudes, au lieu de m'appeler vers des horizons lumineux, me rend sombre et inquiète. J'ai peur de ne pas parvenir à tout connaître et de finir ainsi - inachevée. A quinze ans, j'avais l'espoir nourri de certitudes d'une plénitude qui serait nécessairement un jour confondue avec moi-même. Aujourd'hui, devant les limites de cette plénitude absolue toujours reculées, la certitude a laissé place au doute. Je désire toujours apprendre. Mais je désespère de m'apercevoir que j'ai si peu appris depuis dix ans et je m'impatiente en pensant combien je progresse et grandis lentement.
J'aimerais avoir quitté cette phase interminable d'apprentissage et pouvoir
me dire que désormais je sais. Plus encore, j'aimerais croire qu'il
me sera possible de dire avec sérénité et quiétude : je sais.
_______________________________________________ Ce que je lis en ce moment : La Nausée - J.P. Sartre (j'arrive pas à finir) Le Joueur - Dostoïevski Rousseau - Une fiction théorique éducative - Michel Fabre La Rumeur d'Orléans - Edgard Morin Journal (1876) - Marie Bashkirtseff |