La possible impossibilité



pour m'écrire















































hier demain
Mercredi 7 mars 2001

Le soir de la sortie des classes, juste après les épreuves du bac blanc, deux jeunes de mon lycée qui étaient partis fêter le début des vacances, se sont tués en voiture. Deux jeunes de 18 ans. Je n'ai appris l'accident qu'à la rentrée. Je ne connaissais pas ces deux élèves, mais j'avais corrigé la copie de l'un deux : un tout petit 7 sur 20. Gêne partagée de tous les professeurs : on en fait quoi de leurs copies ? on dit quoi à leurs camarades ? on réagit comment face à la place laissée vide dans la classe ? Sentiment d'impuissance et d'injustice devant deux vies qui s'arrêtent trop tôt et qui n'ont pas eu le temps d'être vécues, qui n'ont pas eu l'occasion de se construire une trajectoire. Tout d'un coup, ça finit brutalement, et on ne sait pas pourquoi. Ce que l'on sait, c'est que tout reste en plan et il reste dans les esprits le goût amer de l'inachevé.

On n'est jamais préparé à affronter la mort, même si elle vous touche de loin. On n'est déjà pas préparé à la vie, surtout parce qu'on y est sans cesse confronté. On s'imagine naïvement qu'on a tout son temps pour s'essayer, se rater, se reprendre, et qu'on finira bien un jour par se réussir.

Etrangement, j'ai souvent pensé à ma propre mort. Non pas à celle qui arrivera à celle que je serai devenue lorsque je serai vieille, mais à celle qui pourrait arriverait d'un coup demain, dans un mois ou dans un an. Celle qui surviendrait brusquement sans que personne ne s'y attende. Celle qui d'un coup laisserait un vide. Celle qui apparaîtrait en plein milieu d'une action. Un mot "fin" soudainement inscrit en plein milieu des aventures du personnage principal. Peut-être suis-je morbide, pourtant déjà lorsque j'étais petite, je me fabriquais l'image de ma propre mort : ma famille pleurant, mes camarades choqués, le cimetière qui n'avait pas encore prévu de place pour moi, et puis aussi surtout le pénible rangement de mes affaires. Je me suis toujours demandée ce que mes parents feraient de mes vieux jouets, de mes habits, de mes cahiers de cours, de mes livres. On laisse tout en plan comme pour éterniser un instant qui n'existe plus ou on fait tout disparaître pour oublier un avenir qui s'est brisé ?

Et puis, lorsque mes pensées sont encore plus glauques, j'imagine ce journal. Aucune personne réelle de ma vie n'en connaît l'existence. Que deviendrait-il ? Mes parents tomberaient par hasard sur ces pages atypiques (facile de voir que cela ne ressemble pas à des cours) rangées dans un coin de mon ordinateur ? Liraient-ils alors ma vie, étonnés de découvrir qu'ils ne me connaissaient pas comme ils pensaient me connaître, m'en voulant peut-être de leur avoir caché que je racontais bien plus de choses à des inconnus qu'à ma propre famille ? Et ces lecteurs inconnus, que feraient-ils ? Certains peut-être m'écriraient devant mon silence, et, ne voyant rien venir, imagineraient que j'ai décidé de tout arrêter - ne pouvantpenser que ce serait la vie elle-même qui s'était arrêtée.

Je ne sais pas ce qui me prend aujourd'hui. On n'a pas le droit de parler de la mort - surtout lorsque c'est la sienne. Cela fait peur, cela met mal à l'aise. On préfère comme Pascal se "divertir", c'est-à-dire tourner la tête, cacher le regard, oublier, et surtout se mentir à soi-même. On préfère parler à l'indéfini, avec des "on" aussi vagues qu'irréels ("on", c'est tout le monde et c'est personne). Pourquoi alors, malgré tout, ai-je l'obsession de la pensée de ce moment ? Peut-être tout simplement parce que la curiosité est finalement plus forte que la peur. Peut-être parce qu'en en parlant ainsi, de façon abstraite, cela reste finalement un moment improbable, presque impossible.

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Ce que je lis en ce moment : Bridget Jones, l'âge de raison - Helen Fielding
(chuis pas particulièrement fière de cette lecture !)
Ce que je devrais faire : travailler
La question que je me pose : pourquoi je ne le fais pas