La solitude des dimanches |
Dimanche 11 mars 2001
- 10 h - Faut bien que je me lève. Voilà déjà trois fois depuis que le jour s'est levé que mon minou est venu sauter bruyamment sur mon ventre (sans doute pour voir si ça rebondit) puis a remonté jusqu'à mon visage pour vérifier si j'avais les yeux ouverts ou pas. Je fais semblant de dormir, ouvrant à demi les paupières. Mais les fines moustaches noires me chatouillent et leur propriétaire est fermement décidée à faire tout son possible pour me mener à bout. - 10 h 15 - Allez, j'y vais, je sors de ce maudit rêve qui me poursuit depuis deux heures. Autant les samedis matins sont joyeux car ils ouvrent la perspective de deux jours pleins pouvant être remplis par la liberté et la paresse, autant les dimanches matins sont déjà décadents, annonçant que la trêve du week-end est déjà sur le point de finir. - 10 h 30 - Long petit déjeuner au lit, avec un bon thé, des tartines de beurre (pour une fois que j'ai acheté du pain et qu'il n'est pas déjà dur), accompagnés d'un Jane Austen que je connaissais pas et d'un Brassens que je connais par coeur. Finalement, c'est pas si mal que ça les dimanches matins. - 11 h 30 - La petite Catherine Morland de Jane et la belle Hélène aux gros sabots de Georges sont décidés apparemment à me clouer au lit toute la journée. 11 h 45 - La curiosité finit par l'emporter : ai-je des messages ? J'appuie sur le bouton de l'ordinateur. Geste devenu machinal. Presque un automatisme. Idem pour le clic sur Outlook. Une dizaine de messages arrivent. Pouah, que des messages d'une liste de profs à laquelle je suis abonnée. Ils ont rien à dire d'intéressant, ils se disputent. Ah, si quand même, un message d'un copain. Mais il est vraiment pas bien long ce message... Personne n'a vraiment pensé à moi alors... Je vais voir comment quelques uns des diaristes ont passé leur samedi. Je fais mon petit tour quotidien. Mais pas grand monde n'a écrit à vrai dire. A croire que tout le monde dort. Ou bien tout le monde s'amuse. Sans moi. - Midi - La douche est longue. La douche est chaude. La douche est parfumée. - Midi 15 - La douche est très longue, très chaude, très parfumée. - 13 h - Déjà ? On dira qu'il est trop tard pour travailler et que le mieux à faire est de manger. - 13 h 15 - Etant donné que je n'ai pas fait de vrai repas depuis vendredi, j'ai décidé de sortir l'unique poêle encore propre et de la garnir de produits comestibles. Côte de porc et pommes de terre. Ca, c'est de la cuisine. Et puis y a rien à la télé. Drucker vs Marco-chais-plus-comment. Faudrait décidément que je me trouve autre chose qu'un téléviseur pour compagnon de repas. - 14 h - Je lis les listes des candidats qui se présentent aux élections. Par acquis de conscience, car j'ai déjà une sérieuse idée pour qui je vais voter. Quatre listes : le maire sortant socialiste, l'opposition à droite, les communistes étrangement unis aux féministes et à des associations qui ont pour moi des noms barbares, et enfin Lutte Ouvrière. Un jour faudra que je vote pour une de ces deux dernières listes. Ce serait rigolo. Bon. Tout le monde a de bonnes intentions. Tout le monde veut une ville dynamique, propre, sûre, où il fait bon vivre. Rien qu'à lire les programmes, on voit pas grand chose qui sépare la droite de la gauche. Sauf que la liste de droite a mis les âges et le nombre d'enfants de ses candidats. La plupart ont au moins trois enfants. Quand on est de droite, on fait forcément pleins d'enfants ? Et quand on est de droite, c'est forcément bien d'être marié avec des mômes ? C'est quoi le lien logique entre la situation familiale et les compétences politiques ? En tout cas, on ne sait pas si les communistes font des enfants. Il y a même des communistes qui sont encore des enfants : il y a une fille en milieu de liste qui a 21 ans. Peu de chances qu'elle soit élue, mais quand même c'est beau cette conscience politique si jeune. - 14 h 15 - Bureau de vote dans une école primaire à deux pas de chez moi. C'est la première fois que je vote autre part qu'à Parentville. Cela fait tout drôle d'aller toute seule voter. J'aimais bien le rite familial et dominical chez mes parents. On se disait pas pour qui on votait, mais on le savait très bien. Et on entendait nos noms se suivre avant le "a voté". Ici, mon nom sera énoncé tout seul. - 14 h 30 - De retour chez moi. Allez, au travail. - 14 h 31 - Et si je vérifiais mes messages avant ? Pas de messages. Mais tant que je suis connectée, autant en profiter pour surfer un peu. - 15 h - Je bosse dur depuis un quart d'heure. Un cours que je prépare d'avance pour les Littéraires. Pour une fois je voudrais prendre de la marge dans mon travail. - 17 h - C'est l'heure du goûter. Enfin. - 18 h - Je retourne dans Sartre. Pas très claire la différence qu'il fait entre "condition" humaine et "nature" humaine. Sûre que ça va pas être facile de faire capter la subtilité aux élèves. - 20 h - C'est le résultat des élections. Forte abstention. (Soupir d'énervement). Paris va peut-être virer aux socialistes. (Sourire de satisfaction). Sinon, le reste, c'est assez flou. Les commentateurs et les hommes politiques arrêtent pas de se contredire les uns les autres : "Ce n'est pas une vague rose, comme on l'avait dit !", "Mais monsieur, je n'ai jamais dit cela moi ! Je ne l'ai jamais pensé ! " "Et les présidentielles ? Et les présidentielles ?" - tout le monde ne cesse de sortir l'interrogation métaphysique, sans vraiment piger que c'est pas encore le moment et que ce n'est pas la peine de tout confondre.- 21 h - J'en ai profité pour manger. Je zappe d'une chaîne à l'autre. C'est fou ce qu'on peut dire comme bêtises en une soirée. J'attends les résultats d'Evaville. Je me tape toutes les informations régionales de France 3. Ils ne parlent pas d'Evaville. Mais je ré-apprends la géographie. - 22 h - Ils n'ont toujours pas parlé d'Evaville. J'abandonne. - 22 h 40 - Je finis d'écrire cette page qui est probablement la page la plus inintéressante de toute l'histoire de mon journal sur internet. Au moins j'ai été franche : vous pouvez voir en direct le vide abymal de mes dimanches. Car je parie que vous vous demandez tous ce que je peux bien faire quand ce n'est pas une journée d'élection (c'est-à-dire les 50 autres dimanches de l'année) ? Peut-être qu'il faudrait que je me fasse candidate de droite : si je me mariais et si j'avais trois enfants, j'aurais des des dimanches plus animés. Ouais, mais bon, en y réfléchissant, c'est cher payé (les enfants ou voter à droite ?). - 22 h 46 - Qu'est-ce qui est le plus pitoyable ? La vacuité de cette page ? Ou la vacuité de ma journée ? On va essayer de ne pas y penser. Je suis trop fatiguée ce soir. On verra demain si j'ai le courage de mettre tout ça en ligne. Bonne nuit.
_______________________________________________ Ce que je lis en ce moment : Catherine Morland - Jane Austen Ce que j'écoute : Ella Fitzgerald La question que je me pose : pourquoi mes dimanches sont-ils aussi vides ? |