Rêve d'été |
Jeudi 10 mai 2001
J'ai envie que ce soit la semaine avant les épreuves du bac. Je n'aurai presque plus d'élèves dans les rangs. Tous ceux qui auront glandé durant toute l'année scolaire seront en train de stresser chez eux devant un Annabac acheté d'urgence et qui apparaîtra à leurs yeux comme porteur d'un message messianique. Il n'y aura plus en classe avec moi que quelques fans inconditionnels, triés sur le volet : ce petit jeune homme tout timide qui est amoureux de sa prof depuis septembre mais qui n'a jamais osé lui avouer, deux ou trois filles sérieuses qui espèrent bien décrocher une mention au bac et briller dans leur classe prépa l'année prochaine, et peut-être aussi un penseur en herbe qui aura prévu de lire un ouvrage de Descartes pendant les vacances afin de prolonger la réflexion commencée cette année. Ce sera le paradis. Un public de rêve avec qui, pour la première fois, je pourrais faire un vrai cours. Il y aura quand même une ou deux têtes dures : soit un petit morveux qui aura décidé de m'embêter jusqu'au dernier jour (à la guerre comme à la guerre), soit un prétendu rebelle qui aura été menacé par l'instance paternelle d'être privé de sortie en boîte samedi soir s'il n'allait pas en cours jusqu'au dernier jour. Pour la forme, l'ensemble de mes Poulpes me demandera si on peut faire cours dehors sur la pelouse : "Allez, M'dame, s'iou plaît, il fait beau ! c'est l'été ! c'est le dernier jour !". "Comme Epicure et ses disciples dans son Jardin", dira le futur grand intellectuel cartésien. Moi, j'hésiterai un bon moment, en contemplant la pelouse fraîche qui nous appellera en bas, près de la cour, et puis, brusquement sérieuse, je répondrai à mes élèves qu'il est impossible de faire cours dehors car je n'ai pas apporté ma crème solaire. Alors, on fera tous ensemble un bon cours, moi assise sur une table à côté d'eux, et eux écoutant attentivement leur dernier cours de l'année. A la fin des deux heures, ils me diront au-revoir, sans plus de manières. Moi, pourtant, je serai un brin émue, me disant que je ne les reverrai plus jamais. Oubliant combien j'avais pu haïr certains d'entre eux pendant une année entière, je me prendrai d'affection pour eux tous (même pour le petit morveux) et je me mettrai à espérer que chacun obtienne son bac (même ceux qui ont tout fait pour ne pas l'avoir). Comme l'année dernière à la même époque, je retournerai une dernière fois à la salle des profs, viderai mon casier, et souhaiterai bonne continuation aux autres collègues. Et je rentrerai chez moi en pensant à l'année prochaine. Ce serait bien de pouvoir être déjà en juin. Je téléphonerai à Copine Juju pour qu'on prépare ensemble notre randonnée. On consultera ensemble les topo-guides et les horaires des TGV pour Grenoble. On espérera que les autres copains ne sont pas en train de passer des examens et qu'ils pourront venir avec nous. Je vivrai les fenêtres ouvertes, faisant courant d'air, pour ne pas succomber sous la chaleur. Hannah voudra se faire la malle et profitera de chaque moment d'inattention pour aller voir si une petite balade est possible en s'en allant par le toit.
Après m'être gavée de cette bonne lecture, n'en pouvant plus de lire les mêmes bêtises, je prendrai d'un coup le premier train pour Paris. Je retrouverai tous les copains parisiens. On parlera de nos vacances. On ira rêver dans les boutiques du Vieux Campeur près du Panthéon.
Ce sera juin. Je serai heureuse.
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Ce que je lis en ce moment : Génie la folle - Inès Cagnati Ce que j'écoute : Harry Connick Jr. Ma question du jour : pourquoi est-ce que je conjugue toujours le bonheur au futur ? Il y a un an.
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