Le déluge



pour m'écrire






























































































hier demain
Mardi 8 mai 2001

Voilà des semaines qu'il ne cesse de pleuvoir. C'est soit un brumeux crachin qui blanchit les paysages, soit d'imprévues averses qui surprennent soudainement les passants. Mais en tout cas, toujours de l'eau. De l'eau qui descend d'un ciel devenu trop prodigue et trop généreux, offrant des cadeaux dont personne ne veut plus. Et puis aussi de l'eau qui sort de la terre, transformant les rivières en fleuves et les champs en étangs.
La pluie et le mauvais temps sont devenus le principal sujet de conversation des gens. Lorsque dans l'après-midi la pluie n'est pas encore tombée, on ne dit plus : "tiens, il fait beau aujourd'hui", mais "tiens il n'a pas encore plu aujourd'hui", comme si les gouttes d'eau traçaient désormais les traces de notre destin nécessaire et irréversible.

L'autre jour, dans ma voiture, en pleine journée, le ciel était si bas que je roulais tous feux allumés. Mes essuie-glaces marchaient à la vitesse maximale, à perdre haleine. Non seulement je voyais à peine la route devant moi, mais, dès qu'un camion passait trop près de moi, il éclaboussait encore plus violemment tout le pare-brise, ou bien me contraignait à rouler plus près du bord du chemin, si bien que l'automobile s'affaissait dans les grands trous d'eau de la route mal entretenue. Le temps était si éloigné de l'image d'un mois de mai et le paysage si différent de celui d'une campagne au printemps que je me suis mise à me demander si ce n'était pas un véritable déluge qui s'abattait sur la France. Un déluge biblique pour punir tous les païens de leurs comportements irresponsables et inconséquents. Un déluge personnel aussi pour me punir, moi, de la paresse et de l'indolence dans laquelle je me suis enfoncée ces derniers mois. Pourquoi la pluie, au fond, ne serait-elle pas là pour me voler mon printemps, en signe d'avertissement, pour me punir d'avoir mal su passer mon hiver ? A vrai dire, c'est bien ce qu'ont fait les prophètes de toutes les croyances : lire dans les cieux des signes qui, probablement, n'existaient pas.

Alors, au lieu de prendre la pluie comme une calamité inexorable, j'ai décidé de lire en elle le signe d'un message supérieur. Pourquoi ne pas faire comme si cette pluie était là pour me faire prendre une douche froide et me réveiller de ma léthargie ? Pourquoi ne pas imaginer dans chaque coup de tonnerre un coup de fouet qui me serait personnellement adressé ? Pourquoi ne pas croire que toute averse aurait en vérité une signification à laquelle il me faudrait être sensible ? Croire aux forces de la nature et en leurs messages divins pour commencer à croire en moi...

C'est ainsi que ce matin, pour me réveiller de mon sommeil intellectuel, je me suis remise à travailler. A travailler sérieusement, mais surtout pour le plaisir - pour mon propre plaisir - et non pas par obligation. Je me suis de nouveau sentie stimulée par cette excitation toute intérieure de la connaissance. J'ai recommencé, après de longs mois où je m'étais doucement laissée couler le long de ma vie, à formuler des projets.

Etrangement, durant toute cette journée, pas une seule goutte de pluie n'est tombée du ciel. Il faisait au contraire un grand soleil. Je peux même dire sans mentir que c'était la première journée de printemps, à proprement parler. Simple coïncidence, dirons les incrédules. Car bien entendu, les eaux des fleuves sont encore dangereusement en train de monter et les champs sont encore couverts de flaques d'eau géantes. Seulement, il m'a semblé aujourd'hui que la pluie signifiait autre chose que les effroyables inondations. Peut-être qu'il fallait symboliquement tout nettoyer pour pouvoir tout recommencer - ou plutôt pour pouvoir mieux continuer. Dans les champs, il y a toujours des étangs.

Mais sur ces plans d'eau, il y a de nouveaux habitants : de petits canards, apparus d'on ne sait où, venus peupler des territoires qui n'avaient pourtant jamais été les leurs. Les canards que j'ai croisés dans les champs aujourd'hui avaient l'air plutôt heureux de patauger dans l'eau. Bien plus que ceux que j'avais observés sur la Seine en crue quelque temps plus tôt et qui semblaient tant hésiter avant de se lancer dans le courant du fleuve glissant beaucoup trop rapidement pour eux.

Alors voilà la question : ne fais-je que lire ce qui est comme cela est ? Ou bien, mon regard, selon qu'il est heureux ou triste, ambitieux ou découragé, ne fait-il que transformer la vision des événements, en fonction justement des états d'âme qui me traversent ? La première possibilité est pleinement objective et scientifique, mais elle ne laisse plus de place justement à ces fameux signes. Et je préfère pourtant imaginer qu'il y a bel et bien des signes dans la nature, même si tout porte à penser que réellement ils ne peuvent exister.



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Ce que je lis en ce moment : Génie la folle - Inès Cagnati
Ce que j'écoute : la radio