Entre le bas et le haut



pour m'écrire










































































hier demain
Mardi 2 octobre 2001

Lancée depuis la rentrée dans ma phase "je-fais-pleins-de-projets-et-je-veux-tout-faire", je me suis inscrite la semaine dernière à la fac pour commencer un Troisième Cycle. Voilà trois ans que j'avais ce projet et que je le remettais toujours à plus tard, faute de temps. Dans ma tête, je n'avais pas arrêté mes études. J'avais juste fait une pause. Mettant définitivement rendue compte l'année dernière que mon métier me rendrait stupide, acariâtre et déprimée si je m'y adonnais exclusivement, l'idée de me remettre à réfléchir en profondeur et la perspective que le fruit de ces réflexions puisse se concrétiser de façon officielle et reconnue ont rendu extrêmement urgente la nécessité de me lancer de nouveau dans des travaux universitaires. Répéter toute la journée les mêmes vérités (cogito ergo sum, la religion est l'opium du peuple, l'homme est un roseau pensant, et patati et patata) les rend presque vaines et leur fait perdre de leur ampleur et de leur lumière. A force d'annoner devant des Poulpes blasés, j'ai du mal à croire en ce que je dis et ce qui apparaît comme vérité semble devenir inexorablement un topos archi piétiné. J'avais donc besoin d'une pensée fraîche pour vivifier mon esprit et puis aussi peut-être d'un public reconnaissant pour flatter mon orgueil.

Je me suis donc inscrite à la fac. Bien entendu il me sera extrêmement difficile d'y mettre les pieds, si ce n'est pendant mes vacances scolaires (j'habite loin). Mais j'essaierai de récupérer les cours, peu nombreux, sur d'autres personnes. De toute façon, la plus grande partie de mon travail va consister à écrire un mémoire, donc à travailler chez moi et devant des livres.

Cependant, ce qui est étrange, c'est que si ma volonté de renouer avec la pensée universitaire est bien réelle (elle est même vitale), la perspective de replonger, même de loin, dans la vie estudiantine me laisse assez froide, voire sceptique. L'autre jour, en attendant pour m'inscrire et déposer mon dossier, j'ai pu observer mes futurs camarades de fac. Ce n'était pas les mêmes que ceux avec qui j'étais il y a trois ou quatre ans, mais, au fond, ils se ressemblaient tous un peu. Et les fréquenter de nouveau m'a rappelé une évidence : je n'aime pas les étudiants en philosophie ! Est-ce possible ainsi de détester en quelque sorte les membres de l'espèce à laquelle on appartient (si étudier les mêmes choses c'est appartenir à une espèce) ? Pourquoi un tel rejet de l'univers d'où je viens ?

C'est qu'un étudiant en philo ressemble inévitablement à un autre étudiant en philo, malgré, et peut-être même en vertu de sa volonté d'être différent. Il y a la classe masculine d'abord, la plus nombreuse, peut-être la plus insupportable : vêtu de noir (pour avoir un air mystérieux) et habillé d'une chemise blanche négligemment étudiée (pour se la jouer Bernard-Henri Lévy), l'étudiant mâle prétend tout connaître et ne s'abaisse jamais à lire dans le texte des classiques aussi rabattus que Platon ou Aristote (il y a plus à dire sur Bourdieu ou Deleuze). Pour montrer qu'il sait tout, il parle de tout de façon très large, citant un ou deux commentateurs à la mode. Il a son avis sur tout et cultive son snobisme. Il veut paraître être au-dessus du flot de la foule et de sa doxa, car il croit qu'ainsi il deviendra intelligent. Au cinéma, il ne va voir que Godard. Et il n'étudie que dans les cafés archi à la mode du 6ème arrondissement, pour faire comme Jean-Paul Sartre et son Castor. Et puis il y a aussi la classe féminine. Plus rare et plus hétéroclite, certes, mais souvent à l'image de ses camarades masculins. Beaucoup d'étudiantes en philo sont belles et intelligentes, mais, hélas, le savent et le répètent, ce qui fait perdre toutes leurs qualités sous une arrogance qui me fait fuir à mille lieux. Elles disent ne vouloir être appréciées que pour leur esprit, mais, en vérité, elles mettent des jupes sexy, parce qu'en toute mauvaise foi, elles adorent qu'on les regarde.

Voilà la faune qui rode à la Sorbonne. Faune d'où je sors et avec qui j'ai flirté, je le reconnais (il m'est arrivé, je l'avoue, de mettre des jupes sexy pour que les types à la chemise blanche me regardent). Seulement, quand on connaît un peu de la vraie vie - la vie dans bas, celle des Poulpes mal dégrossis qui baignent en toute franchise dans la fange de l'air du temps -, toute cette artificialité des prétendues élites semble bien vaine. A trop vouloir paraître, être n'a plus de sens. A trop vouloir monter, on en oublie de descendre.

non, je ne fais pas de pub
Au fond, je veux quitter le lycée et ses déceptions poulpiennes pour remonter dans la sphère de la pensée. Mais je critique ceux qui y sont restés et qui ne voient pas d'ailleurs possible. Peut-être est-ce en fait qu'on ne peut comprendre les hauteurs et assurer leurs fondations que si on est descendu vers les profondeurs plus ou moins obscures.

J'espère ainsi trouver un équilibre : me mouiller dans la réalité désordonnée et hétéroclite des basses préoccupations lycéennes pour mieux apprécier ensuite de remonter vers la prétendue noblesse de la pensée...




Il y a un an.
Il y a deux ans.