Trois ans |
Mardi 28 mai 2002
Mince, mince, mince... J'avais écrit un début de page et voilà que je viens de tout effacer. J'avais l'impression d'avoir déjà dit ce que j'étais en train de dire. J'ai eu une sensation de déjà dit, de déjà écrit, de déjà vu. Comme si j'étais déjà passé par là. Comme si j'avais repris le même chemin. Comme si j'étais prise dans un cercle. C'est terrible cette impression de se répéter. Peut-être pas comme un disque rayé tout de même. Mais du moins comme une chanson qu'on reprendrait : le même air, les mêmes mots, les mêmes émotions - seule l'interprétation et les arrangements changeraient. C'est paradoxal de commencer cette entrée sur le constat de répétitivité, car dans un sens c'est justement le contraire de ce que je voulais dire. En effet, si je me répète, l'année dernière j'étais tout de même bien différente. Il y a deux ans aussi. Il y a trois ans encore plus. C'est étrange que j'ai l'impression aujourd'hui d'avoir déjà dit ce que j'avais à dire, car justement je ne suis pas celle que j'étais. J'ai changé, c'est certain. Je ne suis certainement pas devenue celle dont je rêvais. Mais je ne pourrais plus écrire aujourd'hui mes pages comme je les écrivais il y a quelques mois, quelques années. Je suis à mille lieux aujourd'hui d'envisager une grande fête pour l'anniversaire de ce journal. Hé oui, trois ans aujourd'hui... La commémoration en grande pompe de l'Evanniversaire l'an passé me semble aujourd'hui si dépassée et si présomptueuse surtout. Peut-être n'ai-je plus les mêmes attentes aujourd'hui face à ce journal. Je n'ai plus envie de grandes déclarations publiques. Si j'écris aujourd'hui, en ce jour que je me suis choisi comme anniversaire, ce n'est pas pour faire une grande party. C'est juste comme un post-it collé dans le coin de l'ordinateur - juste pour me rappeler : tiens, ça fait trois ans aujourd'hui, ma fille.... Trois ans que j'écris en secret. C'est énorme en fait, quand on y pense. Toutes ces centaines de pages noircies. Tous ces méga-octets remplis (presque 20 sur mon disque dur). Toutes ces heures passées devant l'écran à triturer les mots pour leur faire dire ce qu'ils ne veulent pas dire. C'est fou quand on y pense, non ? Et je serai où dans trois ans ? Qui serai-je devenue ? Serai-je toujours là, emprisonnée dans mon cercle, tournant après moi-même ? Ou bien aurai-je appris à respirer d'un autre souffle ? Aurai-je encore besoin de me parler - me parler sans me dire, sans me trahir, sans me dévoiler ? Aurai-je alors définitivement tout écrit et ne serai-je plus jamais capable que de me répéter ? Je ne sais pas. Je fais souvent le rêve de pouvoir lire à l'avance les pages que je n'ai pas écrites. Parfois j'ai hâte d'être au lendemain et je me dis : "ah si seulement je pouvais lire dans mon journal ce qui y sera écrit !" Le lire avant que cela ne se réalise. Pas pour changer le cours des événements. Juste par pure curiosité. Parfois je suis avec moi-même comme le sont ces lecteurs qui me prennent pour un personnage : et alors, il va t'arriver quoi après ? Je vais vous avouer un secret : je ne connais pas la suite des aventures d'Eva. Je peux m'amuser à les écrire. Une page datée du 28 mai 2005, ce serait peut-être amusant à imaginer. Seulement le problème, c'est qu'elle ne serait qu'imaginée. Personne ne pourra jamais me dire en toute certitude ce qu'il y a écrit sur celle-ci. J'espère seulement que, même si mes Regards Solitaires seront fermés, je continuerai à regarder les êtres et les choses en couleur... avec ce regard bleuté de l'écriture qui apprend à voir même ce qui ne se montre pas et transfigure même ce qui se montre trop. ![]() |