Dimanche 15 septembre 2002

Histoire d'eaux.
Lorsque j'habitais à Paris, j'avais une toute petite salle de bain. Vraiment toute petite. La douche était collée sur les toilettes et les toilettes sur le lavabo. Ce n'était pas la peine d'envisager de s'habiller dans cet étroit cabinet sans fenêtre : en levant le bras pour le glisser dans la manche d'un pull, on aurait eu vite fait de se cogner contre l'évier ou de rencontrer par inadvertance le chauffe-eau suspendu au-dessus des toilettes. Pour entrer dans la douche, il ne fallait pas être gros. Il fallait se glisser délicatement de profil entre les parois transparentes en plastique du pare-douche. Heureusement qu'en ce temps là personne d'un peu enrobé n'a fréquenté ma douche, car il est certain que sinon il y serait resté coincé. J'aurais eu l'air bien, moi, d'avoir quelqu'un ainsi coincé dans ma salle de bain. Cela aurait fait bizarre quand même.

A Evaville, ma salle de bain était nettement plus grande. Rien qu'à comparer les salles de bain, on pouvait voir que j'avais changé de statut. Je n'étais plus la pauvre petite étudiante obligée de vivre dans dix-huit mètres carré sous les toits parisiens, mais j'étais déjà entrée dans la vie de ceux qui gagnent leur argent et qui peuvent se payer un logement suffisamment grand pour qu'on ne s'y cogne pas de tous les côtés. Il n'y avait encore cependant qu'une douche dans cette salle de bain. Elle était carrelée de bleu foncé, ce qu'il lui donnait un certain style. Le rideau à fleurs marrons n'allait pas tout à fait sur les côtés, si bien que souvent mon petit chat noir venait se glisser près du mur, à gauche du bac, et venait lécher avec sa langue rose les gouttes d'eau savonneuse étalées contre la paroi.

Ici, dans mon nouveau chez moi, la salle de bain est digne d'un palace. Les grands carreaux blancs du sol, le marbre gris du lavabo, la grande baignoire immaculée au fond de la pièce sont baignés chaque matin par les premières lumières du soleil d'est se faufilant entre les vitres des deux belles fenêtres. La pièce est claire et chaude. On a envie d'y rester longtemps.

Le bain du dimanche matin est désormais devenu un rituel. Je fais couler l'eau à grands flots, versant quelques gouttes de bain moussant à la pêche. Très vite les bulles de savon blanches montent, gonflant magiquement à la surface de l'eau. La maison sent partout la pêche. Lorsque la baignoire est pleine et menace de déborder, je ferme le robinet et je remplace le bruit de l'eau qui coule par un CD d'Harry Connick Junior. La partie la plus délicate commence alors. Il s'agit de réussir à plonger mon pied, puis le reste du corps, dans l'eau brûlante. Je sens la chaleur gonfler ma peau, détendre tous les muscles, paralysés sous l'épaisse mousse. Lorsqu'enfin le corps entier a réussi à lutter contre la chaleur et est entré dans l'eau, je saisis mon roman. Je fais très attention pour ne pas mouiller les pages, pour ne pas les retrouver toutes gondolées et avoir à prendre une mine penaude lorsque je rendrai le livre à la bibliothèque. Le temps passe et j'oublie que la journée risque de me dépasser. Je suis juste là, dans mon bain, avec la voix du crooner, le parfum à la pêche sur ma peau et les bulles de savon qui craquent doucement à mes oreilles. Au loin, il y a les cloches de l'église qui sonnent à perdre haleine.

C'est dimanche matin. Et je suis dans mon bain.



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