Ça ne m'arrive pas souvent, mais ça m'arrive quand même quelque fois. Parfois, j'ai envie d'envoyer tout promener. Tout abandonner sur place, tout laisser en plan tel quel et dire de façon très posée des propos pleins de la violence du refus : "maintenant, débrouillez-vous sans moi, vous êtes tous des cons !" Et partir en claquant la porte. Si fort que les murs résonneraient et les carreaux des fenêtres trembleraient. Prononcer tranquillement, sans mouvement de fureur ni de colère la terrible phrase, lourde et pesante dans sa grossièreté inattendue : "vous êtes tous des cons !" Ajouter que je m'en balance et partir en tapant du talon sur le sol, la tête haute et le regard fier. Oui, je l'avoue, quelque fois, rarement, mais parfois quand même, j'ai envie de faire ce geste fatal. Fuir devant la difficulté et ne plus rien avoir à affronter. M'en aller pour ne plus avoir à supporter ce qui m'est douloureux. "Débrouillez-vous sans moi !". Impératif de la fuite en avant. Commandement fait à la fois de lâcheté et de courage. Oui, je l'avoue, parfois j'ai envie d'ignorer les problèmes. Ne plus rien voir. Me mentir à moi-même pour ne plus avoir à faire face aux obstacles et pour ne plus souffrir de ne parvenir que difficilement et imparfaitement à les franchir.Mais bien sûr, je ne le fais pas. Je ne dis jamais aux gens "vous êtes tous des cons !" "Et basta." Même aux cons, je ne leur dis pas. Je suis lâche et civilisée.
A qui parler quand ça ne va pas ? A qui avouer que parfois on n'en peut plus ? Ce n'est pas que je manque de personne à qui me confier. Non, je pense qu'il y a des gens qui sont là pour moi. Pour m'écouter et me soutenir. Pour m'encourager et pour me faire sourire. Il y a mes parents. Il y a mes copines. Il y a Kolok. Il y a internet aussi et les liens que j'y ai noué. Il est certain qu'il y a des gens au bout de mon désespoir quand je suis désespérée. Je sais qu'ils sont là. Mais souvent, je ne leur dis rien. Je n'ai pas envie de leur dire que ça ne va pas. Je ne veux pas me plaindre, pleurer sur mon sort et susciter la pitié ou la compassion. Je sais que si je raconte tout ce qui me ronge en moi, j'entendrai "mais non, ne sois pas si dure avec toi-même... tout ne va pas si mal..." ou bien "ne t'inquiète pas comme ça". Je sais que ce que j'entendrai sera juste et légitime. Et je sais que je devrai être pleine de reconnaissance pour ceux qui ont prononcé ces phrases. Pourtant, je ne veux pas les entendre, ces phrases là. Je sais qu'elles ne peuvent rien pour moi. Dans ces cas là, je préfère oublier mes problèmes, ou faire comme si c'était possible. Je ne veux pas qu'on me console.