Dimanche 10 novembre 2002

Ce qui se passe sous les tables
Nous sommes entrés dans ce restaurant par hasard. Le dimanche, c'est ici une ville morte. Il n'y avait personne dans les rues. Que nous. Quand nous avons vu enfin un restaurant d'ouvert, nous avons franchi la porte, sans vraiment regarder auparavant la carte. C'était probablement le restaurant le plus chic de la ville. Un serveur est venu vers nous. Il était blond et il avait le visage très pale. Il était jeune, mais il était si guindé dans son costume blanc qu'il semblait que le temps l'avait stratifié. Il nous a demandé si nous avions réservé. Non, nous n'avions pas réservé. Nous n'avions pas même prévu de nous retrouver ce dimanche là, à 13h30 dans ce restaurant - ensemble. Il nous a mené vers l'unique table qui restait libre, près des cuisines, devant le bar. Il a reculé le siège pour que je m'assois. On s'est dit, Mince, on n'est pas habillé assez bien pour ce restaurant. Mais nous n'avions pas prévu de nous retrouver ce dimanche là, ensemble, tous les deux. J'ai dit, Il va falloir qu'on se tienne bien pour une fois. La patronne du restaurant n'avait pas l'air commode. Une grosse femme au regard sévère. Un de ces regards qui vous font baisser les yeux même si vous n'avez pas fait de bêtises. Elle donnait des ordres à ses employés en utilisant le futur de l'indicatif : Vous repasserez ces nappes et les poserez sur la grande table. Je disais à O., T'imagines son mari, elle doit le mener à la baguette. Dans la salle du restaurant, nous étions les seules personnes âgés de moins de cinquante ans. C'était dimanche, jour de sortie des notables d'un certain âge (ou d'un âge certain) de la ville. O. a rigolé et il a dit, Ils doivent au moins avoir une crise cardiaque par jour dans ce restau. J'ai dit, T'exagères. Le serveur est venu nous présenter la carte. O. a pris du foie gras et moi des filets de rougets. Avant l'entrée, on nous a apporté des amuse-bouche. Nous avons ainsi amusé nos bouches. A côté de nous, près d'une table de vieilles dames, il y avait un couple d'une cinquantaine d'années. Ils ressemblaient à ces hommes et ces femmes qu'on rencontre dans le Grand Hôtel de Deauville ou de Honfleur. Lui portait un costume de prix, elle avait une mise en plis impeccable. O. a dit, C'est terrible de devenir comme ça avec l'âge. Je lui ai dit, Regarde, ils ne sont pas mariés, ça se voit qu'ils sont amants et qu'ils sont venus ici, dans cette ville perdue, pour que personne ne les retrouve. Il m'a répondu, Peut-être, et ils les a regardé autrement.

O. a pris ma main. La grosse patronne qui passait devant notre table nous a lancé un regard noir. O. a laché ma main et n'a plus tenu que mon petit doigt. Sous la table, j'ai glissé mon pied entre ses jambes. Et puis j'ai dit, Personne ne nous voit, la nappe est longue.


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