Il me semble que c'est au moment où la possibilité nous est offerte de ne plus être seul qu'on est en vérité le plus seul. Je ne sais pas pourquoi je m'acharne à demander des conseils. Les conseils d'amis ne rendent pas les choses plus simples. Au contraire, ils compliquent tout et me font tomber dans une plus grande confusion encore que celle dans laquelle je me suis mise moi-même. J'ai du mal à voir clair en moi-même. Je demande à autrui qu'on me fasse de la lumière sur l'obscurité de mon coeur. Toute pleine de naïveté, je crois qu'il est facile de lancer un projecteur sur son âme et d'y lire ensuite comme dans un miroir parfaitement pur et limpide. Je crois cela et je demande qu'on tourne le projecteur vers moi. Je reçois de la lumière, certes, mais les sources lumineuses sont si discordantes que finalement j'en viens à ne plus rien voir, trop éblouie par ces spots qui se contrarient.D'abord, il y a les lumières inconnues qui cherchent à m'éclairer. Celles qui ne me connaissent pas, mais me lisent depuis longtemps. Celles qui sont éclairées par les quinze pouces de leur moniteur et qui pensent pouvoir, à travers les quinze pouces de mon écran à moi, me donner amicalement un peu de leur éclairage pixelisé. Ces lecteurs ne savent rien de toute l'histoire, n'en ont lu que des mots à peine dévoilés dans une pudeur secrète, mais ils me donnent tous en choeur - leur unanimité est touchante - la même exhortation : Vas y, fonce ! Est-ce que ce sont eux que je dois écouter ? Est-ce eux qui ont raison ? Ou bien veulent-ils simplement lire dans mon journal un peu plus d'action, et un peu plus d'action amoureuse en l'occurrence ? C'est vrai que si un nouveau personnage entrait dans ma vie, il y aurait peut-être un peu plus de choses à raconter sur mes pages blanches. Et tous les lecteurs aiment les histoires d'amour, c'est bien connu.
Mais il y a aussi, à côté de ces voix sans visage, les paroles des gens qui me connaissent. Ceux qui ont un point de vue beaucoup plus large sur moi que simplement l'oeil d'un écran d'ordinateur. Ceux qui me voient sentir, penser, vivre dans la vie de tous les jours. Ce qu'ils me disent n'a pas de rapport avec ce que m'écrivent les lecteurs. Ils sont méfiants. Ils me tirent par le bras et m'incitent à me réveiller. Je reçois pleins d'arguments dans la figure. Le Vas-y fonce ! des lecteurs de l'ombre se transforment en avertissements plus ou moins nuancés : Mais enfin, il y a dix jours tu ne le connaissais pas ! Tu précipites les choses ! Et puis, il y a à peine quelque temps tu pensais à un autre !, entends-je à ma gauche. Attention, cette bonne entente entre lui et toi tient au contexte des vacances. C'était un moment en décalage avec la réalité quotidienne. Ca ne se passera pas de la même façon dans la vie de tous les jours, sois-en certaine, me dit-on à ma droite. Et puis j'entends aussi cette phrase d'une lucidité qui me fait trembler : tu ne dois pas aimer pour les mauvaises raisons - parce que tu as envie d'aimer, ou simplement parce qu'on t'a dit qu'on t'aimait. J'aimerais bien qu'on me dise aussi quelles sont les bonnes raisons que l'on a d'aimer. Y a-t-il seulement de bonnes raisons ?
Kolok, elle, a été la plus prudente d'entre tous. Elle m'a simplement dit : "écoute ton coeur" Je lui ai ri au nez tout en ronchonnant :
- Mais ça ne veut rien dire, cette phrase, voyons !
Elle a pris le sourire amusé qu'elle a si souvent et elle a avoué en se moquant :
- Je sais ! C'est ce qu'on m'a toujours dit et ce que j'ai toujours détesté entendre, parce que ça ne m'apportait aucune réponse.
Donc en gros, "écoute ton coeur", ça veut dire "démerde toi". Je crois que j'ai compris.Alors finalement, j'ai décidé de n'écouter personne. Ni mes lecteurs ni mes amis. Ni mon coeur ni ma raison. Ce n'est pas la première fois. Je n'en ai toujours fait qu'à ma tête. Il faudrait pouvoir ne rien choisir et laisser les choses se faire d'elles-mêmes. Mais je sais que ce n'est pas possible. J'hésite encore sur la direction à prendre. Mais lorsque j'aurai pris ce virage, je veux être seule à m'y être engagée. Seule peut-être avec lui. Mais sans du moins toute cette ribambelle de conseils qui m'empêchent d'avancer à mon allure.