J'avance. Je fais ce que je peux pour faire comme si j'étais une grande personne. Comme si je savais où j'allais. Comme si la vie avait un sens. Comme si, au fond, il n'y avait pas de comme si et que tout était sûr et assuré...Et puis, au détour d'un mensonge mal maquillé, je m'arrête. Ça s'effrite de tous les côtés, comme un mur à la peinture écaillée qu'on pourrait éplucher du bout de l'ongle. Le beau revêtement uniforme s'efface et laisse place à des taches laides qui donnent une impression de vieux. Il ne manquerait plus que l'odeur du moisi pour achever l'image de la victoire de la décrépitude.
La vérité, c'est que je marche sur un fil. Quand je fais un pas pour avancer, l'autre pied est dans le vide et menace toujours de chuter. Certains matins, au fond de mon lit, quand le jour n'est pas même encore levé, j'ai peur de perdre mon équilibre à peine acquis. Et si la Bête revenait me dévorer et sortait de mes cauchemars nocturnes pour retourner à la vie et m'attaquer du fond de mon ventre ? Et si elle était de retour pour m'assassiner, avec ses viles méthodes de traître ? On ne peut oublier le passage de la Bête. Elle laisse des traces indélébiles, des stigmates au creux des mains. Lorsqu'elle menace de me retrouver, comme elle me l'a fait croire ces derniers matins, je tremble de tout mon corps. Je n'ai jamais eu aussi peur de quelque chose ni de quelqu'un que d'Elle.
J'ai avancé par rapport à l'année dernière. Je ne marche plus seule et j'ai presque dépassé certains démons. Alors j'espère que c'est la Bête qui aura peur de moi et non moi qui aurai peur d'elle. Je suis bien décidée à lutter pour qu'elle ne revienne plus. Plus jamais.