Jeudi 20 mars 2003

La guerre en direct
La première fois que j'ai entendu de tout ça, c'était l'été de mes quinze ans. Je revenais de fabuleuses vacances au Portugal avec mes parents. On avait vécu quinze jours un petit peu au milieu de nulle part, dans un pays dont on ne connaissait pas la langue et on s'était laissé aller à goûter l'humeur festive de la famille qui nous accueillait. En revenant en France, retrouvant les journaux, la radio, la télé, on s'était soudain de nouveau ouvert au monde. Je me souviens très bien. J'étais là, sur cette plage du Pays Basque, avec mon maillot de bain deux-pièces bleu à pois blancs, quand mon père est venu me rejoindre avec les derniers quotidiens du jour. Il y avait la photo de Sadam Hussein à la une de tous les journaux. Le Koweït, l'Irak, les hausses astronomiques du baril de pétrole, tout ça, ça ne voulait pas dire grand chose pour moi. Mon père s'est assis à côté de moi, sur un bout de serviette de plage, et, plongé dans les articles des journaux, il secouait la tête en disant : "c'est un fou ce mec là".

Plusieurs mois plus tard, il y a eu l'ultimatum, puis la guerre, les missiles, les reportages sur les G.I. sous le sable de la Tempête d'un désert pour eux inconnus. Je ne comprenais pas tout, encore une fois, mais je croyais tout ce qu'on me racontait à la télévision. Je me souviens très bien du matin du 17 janvier 1991. J'avais mis en marche mon radio-réveil très tôt, le matin, avant même de me lever pour aller au lycée. On avait dit que ce serait la guerre qui débuterait ce jour là et je voulais savoir à quoi ça ressemblait une vraie guerre. Ce matin là, j'étais presque dépitée de ne pas entendre des bruits d'explosion plus intense dans ma radio, comme si tout le tapage médiatique qu'on avait fait sur cette guerre m'avait fait m'attendre à un spectacle plus terrible.

Aujourd'hui, je ne sais toujours pas dans ma chair ce que c'est qu'une guerre. Mais j'en sais tout de même un peu plus sur les hommes et leurs jeux funèbres. Ce matin, comme il y a douze ans, j'ai allumé mon radio-réveil, pour écouter les informations depuis mon lit, et je me suis réveillée au bruit des commentaires des envoyés spéciaux. Je ne suis plus impressionnée, je suis dégoûtée. Je sais que je ne peux plus croire ce qu'on me raconte, que la télé, quel que soit l'endroit d'où elle diffuse ses images, ment allègrement. Et puis, quand je repense à la phrase de mon père, sur cette plage, je ne pense plus au même homme lorsque je dis "c'est un fou, ce mec là".

Plus tard, j'allume la télé, malgré moi, pour le journal de 13 heures. En haut à gauche, il y a marqué en rouge "guerre en Irak" et Billalian ne parle que de ça. Il pose des questions aux envoyés spéciaux dispersés partout dans la région et il ponctue chaque interview au journaliste par un paternel "soyez prudent surtout". Les reportages défilent : les soldats américains avec leurs masques à gaz, sûrs d'eux, malgré tout ; les enfants irakiens, le regard brun effrayé par la guerre qui a cogné à leurs oreilles cette nuit ; les premiers feux d'artifice provoqués par les bombardiers américains ; et puis Dieu qui est convoqué tour à tour dans la bouche de Bush et dans celle de Hussein. Le présentateur vedette est en train d'interroger un général. Soudain, il s'interrompt. On a dû lui souffler dans l'oreillette un probable scoop. "Excusez-moi mon général de vous interrompre, mais on m'informe qu'il y aurait de nouvelles frappes à l'instant même... Allons vite rejoindre nos correspondants..." La guerre en direct, vous allez l'avoir. La guerre pour de vrai, sans bouger de votre fauteuil, sans vous salir les mains. Je crois que dorénavant, toutes les guerres seront d'abord des guerres de communication qui ressembleront à de supers productions américaines. Du sang, des larmes, des bons, des méchants. Tout pareil, comme à la télé. Comme j'étais innocente, il y a douze ans, de ne pas avoir su voir tout cela à la télé lorsque j'assistais aux mêmes grossièretés abjectes du père dans sa lutte contre le même ennemi diabolisé.

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