Mercredi 19 mars 2003

De l'engagement politique du prof
De l'engagement politique du prof - 1ère partie

J'ai une pause entre deux cours. Je vais dans la salle des profs prendre un café. Quelques collègues sont réunis et m'accueillent en souriant : "voilà notre jeune collègue !" Euh, oui ? Ah, c'est vrai, c'est jour de grève dans l'Education Nationale. Me voici tombée en pleine réunion syndicale, alors que j'étais juste venue chercher un café. Mais je ne peux pas repartir comme ça, ça ferait mal polie. Ils croient tous que je suis venue exprès à la réunion. Je m'assois à côté de la petite poignée de profs réunis. Au fond, ça me donnera peut-être une bonne raison de faire grève la prochaine fois - je veux dire une bonne raison autre que simplement le fait de manquer une journée où j'ai cours de 8 h à 18 h.

Le débat débute sur la question des retraites. C'est la principale préoccupation des collègues, la plupart arrivant en fin de carrière. Moi, ça me semble tellement loin, cette échéance. Et puis je suis tellement convaincue que je ne ferai pas de vieux os dans le métier. On aborde aussi la question du statut des remplaçants qu'on va supprimer et des aide-éducateurs dont le nouveau gouvernement se débarrasse. Toutes ces raisons sont légitimes, c'est vrai. Mais... mais très vite le débat change d'orientation et devient ouvertement politique. Tout est la faute du gouvernement de droite qui mène le pays à sa perte en détruisant les acquis sociaux. Un gouvernement d'incapables et d'hypocrites. La discussion s'anime. Bien sûr, tous les profs réunis sont de gauche. Cela va sans dire. Comme si c'était un élément nécessaire à l'obtention du CAPES. Quand ils parlent du gouvernement Jospin, ils disent "nous" et quand ils parlent de Raffarin, ils haussent les épaules en prenant un air excédé. Et puis, dans la conversation, ce constat revient : "pourquoi nos collègues ne se mobilisent pas plus ? Mais enfin, pourquoi ne sont-ils pas dans la rue alors qu'on tue leur métier et leur avenir ? Pourquoi ne se révoltent-ils pas ? Où est passée la mobilisation d'antan ?" Les collègues veulent savoir. Alors ils vont chercher un prof non gréviste qui travaille dans la salle à côté et les grévistes le somment de répondre : "Pourquoi tu fais pas la grève aujourd'hui ? T'es pas inquiet par ta retraite ? Tu comptes te laisser perdre tes avantages sans réagir ?" Le collègue, devant ce tribunal improvisé, est tout piteux : "ben si, mais bon..." Les regards sont réprobateurs. Sous entendu : tu ne fais pas la grève, c'est pas bien.


De l'engagement politique du prof - 2ème partie

La scène a changé. Je suis à la cantine, entourée d'enseignants non grévistes. Un jeune prof raconte comment il s'est fait traiter de "connard" par un élève et comment le proviseur a allègrement ignoré le problème en donnant raison à la mère de l'élève plutôt qu'à l'enseignant. Là aussi, très vite, le débat s'anime. "Voilà où ils en sont arrivés avec leur discours laxiste ! Maintenant, tout le monde se croit tout permis et ce sont les petits, ceux qui respectent la loi qui trinquent. Il faut resserrer la vis, enfin. Leur réapprendre à marcher au pas. Leur dire "c'est pas bien d'être pas gentil", ça leur suffit pas. Quand donc le comprendont-ils ? C'est une bonne paire de gifles dont ces élèves là ont besoin !" Là, autour de cette table, ce n'est plus la liberté et l'égalité qui comptent, comme ce matin, mais c'est l'ordre et la sécurité. Les élèves n'obéissent plus, les profs ne sont plus respectés. L'école a un problème avec elle-même. Elle ne sait plus qui elle est, ni à quoi elle sert. Les gosses croient qu'ils peuvent zapper les paroles de leurs profs, comme ils zappent quand un programme de télé ne les intéresse plus. Tout prof rêve secrètement de pouvoir enseigner comme on pouvait le faire il y a un siècle : taper sur les doigts de l'élève bavard et l'envoyer au piquet, sans qu'il dise un seul mot en protestation.

Je vais ranger mon plateau de cantine en me posant cette question : comment le prof ne peut-il pas se sentir aujourd'hui écartelé entre ses idéaux gauchisants forcément caducs, et la réalité de la société actuelle qui semble n'appeler qu'à des actions de droite ? Comment un prof aujourd'hui peut-il vivre sans trouver ce qu'il fait et ce qu'il pense en pleine incohérence ?

là où j'écris



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