Le temps passe et soit c'est lui qui menace de me rattraper, soit c'est moi qui ne parviens pas à simplement l'attraper.La semaine s'écoule et moi, accrochée à elle, je m'use les yeux à m'accrocher aux aiguilles de l'horloge qui ne tournent pas assez vite. Les cours pénibles où je m'ennuie autant que les élèves, les copies infinies que je rougis à perte de vue, les aller-retour incessants que je multiplie entre les lycées où, à peine de passage, j'ai juste le temps de jouer les V.R.P., et puis même les cours de salsa avec Gros Bidon qui porte sa chemise jaune citron entrouverte sur son torse velu et transpirant. Comme ces heures, ces minutes, ces secondes sont longues. Elles n'en finissent pas de s'étirer, mais moi je n'ai pas envie de me vautrer en elles. Sur la pendule, les aiguilles me dessinent mon ennui et ma lassitude. Le cercle qu'elles forment pour me cerner, c'est ma fatigue qui m'use du plus profond de mon corps. Le temps est long. Le temps est long quand on s'ennuie.
Et puis O. arrive. Il est là, assis sous l'horloge transparente de la cuisine. Je regarde la grande aiguille qui s'amuse à danser la ronde autour de notre amour. Sa ballade circulaire scande les heures, les minutes, les secondes, qui, bientôt me sépareront de sa présence. Il est là, avec moi, près de moi, et bientôt, déjà, il sera parti. Deux jours par semaine, c'est tout ce que le temps a permis de nous offrir. Deux jours pour me sentir vivante et aimée, deux jours pour partir à la conquête de ma propre existence, deux jours pour sentir sous ma peau les caresses de tous les printemps. Les yeux sur l'horloge, c'est mon bourreau : ma condamnation pour ne pas croire en l'éternité. Le temps est court. Le temps est court quand on aime.
Alors, prise au piège par ce temps qui se joue de moi, que puis-je écrire ? L'ennui pesant de mes journées, à quoi bon vouloir le retenir une fois de plus ? La légèreté sensuelle de mes dimanches, comment oser la partager en l'offrant à des inconnus qui ne sont pas nous ? Il faudrait que le temps puisse de nouveau me mettre face à moi-même pour qu'il me donne l'occasion de l'écrire. S'il passe en me faisant trépasser, je ne pourrais écrire ma propre mort. S'il passe en me dépassant, je ne pourrais écrire la joie qui m'assaille. Alors, comment faire ? Comment écrire lorsque le temps n'est plus là ?