Au bureau, le vieux ventilateur est à son maximum. Le bruit de sa soufflerie vient étouffer celui des ordinateurs. A 50 centimètres de la bouche métallique, un vent chaud, purement artificiel, fait voler mes papiers et dessèchent mes yeux. La fraîcheur n'est qu'une illusion. C'est toujours le même air moite et lourd qui stagne dans la pièce et flotte, immobile, entre les livres. Depuis plus d'une semaine, les températures n'ont cessé de monter. Chaque jour, on se dit qu'on ne tient plus, qu'on n'en peut plus, qu'on veut que ça s'arrête. Mais ça continue et, à peine levé à l'horizon, chaque matin le soleil déjà se fait assassin. C'est ce qu'on appelle l'été meurtrier.Camille, qui travaille avec moi, soupire en essuyant les fines gouttes de transpiration qui coule le long de ses tempes : "je suis désespérée... cette chaleur me désespère !", s'écrie-t-elle, à bout de fatigue. Elle dit que cette canicule ressemble à l'apocalypse, que c'est terrible, qu'on ne peut pas fuir la chaleur et que même si on nous dit que ça va s'arrêter, ça risque toujours de reprendre de plus belle. Soudain, la pensée que la fin du monde est proche me traverse l'esprit. Le mysticisme est désormais d'un autre temps et a quelque chose de grotesque par son manichéisme vengeur. Et pourtant... Et si les immenses flammes que l'on voit au J.T. de 20 heures sur T.F.1 dans les forêts asséchées de la planète annonçaient les flammes de l'Enfer dont ni l'ozone ni les bons sentiments désormais ne nous protègent ?
En payant ma note, au restaurant du coin, mon oeil est accroché par la une du Parisien. Il paraît que la canicule a fait plus d'une cinquantaine de morts sur la région parisienne, que les hôpitaux sont débordés et que les funatoriums n'arrivent pas à fournir le rythme. Le soleil est donc bien un meurtrier en série. Il a besoin de victimes expiatoires. Désespérer les gens ne lui suffit pas.
Dans le R.E.R., la chaleur est paralysante. Les gens sont avachis sur les banquettes, le regard dans le vide. Certaines vieilles dames se font de l'air avec deux ou trois feuilles de papier pliées en deux. Les jeunes filles, quant à elles, ne se déplacent pas sans une bouteille d'eau qu'elles tètent comme un biberon. Là bas, de l'autre côté du couloir, une femme qui parle à ses collègues dit que c'est dingue, qu'elle ne dort que la fenêtre grande ouverte maintenant et sans drap sur elle, et qu'elle a pourtant du mal à s'endormir tellement elle a chaud. Ici, à côté de moi, un homme qui tient un journal plié sur les genoux dit qu'il va faire encore 38° demain à Paris, que ce n'est pas encore fini cette chaleur.
Un frisson parcourt la surface de mon corps. Depuis trois jours, aux moments les plus chauds de la journée, j'ai chaud et froid à la fois, comme accaparée par des sueurs froides. Mon corps ne semble plus savoir comment se comporter et ne sait plus s'adapter à des températures qu'il ne connaît pas. Même le corps est déréglé. Oui, c'est dingue.
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