Je ne voulais pas de robe de mariée. J'avais peur de me sentir déguisée. Et puis, marcher dans une église avec une longue robe blanche n'a jamais été pour moi un rêve de petite fille. Lorsque j'étais enfant, je rêvais de voyager, de lire et d'écrire, et non pas de me marier. D'ailleurs, secrètement, je désirais être un garçon. Influencée malgré moi par cette société qui impose des voies tracées en fonction du sexe d'appartenance, j'étais convaincue que seuls les garçons avaient ainsi tous ces pouvoirs que je souhaitais : ceux de partir à l'autre bout du monde et de mettre en récit ces expériences inédites. Je crois qu'à dix ans je savais déjà qu'on préfère imposer aux petites filles de rester à la maison. Avec une tapisserie à tisser ou un fer à repasser, qu'importe : la petite fille, c'est Pénélope, pas Ulysse. Lorsque j'étais petite fille, je ne rêvais donc pas de robe blanche. D'ailleurs, pendant près de deux ans, j'ai refusé de porter des robes ou des jupes. Ma mère avait beau me présenter de jolies robes à smocks, avec des fleurs bleues, roses ou jaunes - rien à faire. Entre 8 et 10 ans, j'ai fait la grève de la jupe. Je ne crois pas pourtant que j'étais ce qu'on appelle un "garçon manqué". Certes, je n'aimais pas trop jouer à la poupée. Mais je n'étais pas particulièrement casse-cou et intrépide. Je n'aimais pas plus les jeux de ballons que les Barbies. En fait, ce que je préférais, c'était lire des histoires merveilleuses et dessiner le monde qui m'entourait. Je ne dessinais pas des robes de princesse à mes héroïnes imaginées. Est-ce que je réinterprète mon passé si je dis que je voulais que mes personnages inventés soient avant tout libres et indépendants ? Même si c'était des personnages féminins, ils avaient tous les caractéristiques du masculin. La force plutôt que les frous-frous. La liberté plutôt que l'obéissance.Il n'y a donc jamais eu dans mes rêves de petite fille de robe de princesse. Alors, vingt ans plus tard, lorsque j'ai dit : "je veux me marier", l'image de la robe blanche ne s'est pas imposée à moi. Ce n'était pas mon rêve, voilà tout. Mais on m'a rétorqué : "un mariage sans robe blanche, ce n'est pas un vrai mariage !" On m'a alors traîné du côté de Saint-Lazare et on m'a fait faire le tour des boutiques de mariées. J'ai rencontré des vendeuses très maquillées, très apprêtées qui me disaient : "Oh, regardez comme cette robe est magnifique ! Il faut vous faire plaisir ! Vous ressemblerez à une princesse avec ce voile et ces volants !" Je les écoutais en faisant la moue, hochant la tête, un peu lasse, et au fond très mal à l'aise de me sentir ainsi en complet malentendu avec les autres - avec moi-même.
Et puis... Et puis, alors même que j'y allais à reculons, traînant des pieds et faisant la tête, j'ai fini par me laisser prendre au jeu. Plus encore, j'ai enfin compris que tout cela - la robe blanche, les jupons bouffants, les fleurs à la boutonnière - n'étaient rien d'autre qu'un jeu. Un jeu de petite fille, ni plus ni moins. Le mariage n'a pas grand chose à voir avec ce jeu-là. Ou alors, ceux qui croient qu'on se marie uniquement pour porter une robe blanche n'ont pas rien compris au mariage. La robe, c'est seulement pour jouer - ou plutôt pour se la jouer. Les gens ont besoin de croire aux contes de fée et de voir des princes et des princesses qui s'épousaillent. N'est-ce pas pour cela qu'on entoure le mariage de toute cette effervescence ? N'est-ce pas seulement pour se payer du rêve et pour jouer à projeter une image féerique de soi ?
A force de me glisser dans des robes magnifiques, je suis entrée malgré moi dans ce jeu. Certes, je garde un pied à l'extérieur du cercle fantasmé et onirique formé par l'image de la princesse. Mais j'y suis tout de même un peu. Ma Maman a fini par me laisser convaincre d'acheter une robe blanche. Certes, j'ai fait couper la traîne, ôter l'amplitude de la jupe et ajouter de la couleur. Mais, au final, cela ne ressemble tout de même pas à une robe que l'on met tous les jours. O., lui aussi, s'est laissé emporter par le Jeu. Il a acheté le gilet et la lavallière dont il se moquait pourtant quelques mois plus tôt. Et ensemble, le dimanche ou le soir après le boulot, on s'amuse à inventer ce mariage qui, petit à petit, finit par nous ressembler. On coupe, on plie, on colle. Des menus imprimés sur du beau papier brillant, avec un petit dictionnaire "libano-culinaire" pour expliquer à ceux qui ne le sauraient pas ce qu'est un samboussek ou du baba-ghannouj. Une boite en carton avec pleins de photos de nos voyages pour accueillir les dons de nos invités à qui on a expliqué qu'on préférait un voyage au bout du monde à une liste de mariage. Des ballotins de dragées bleus et blancs, comme ma robe. Des marque-places en forme de poissons, comme un clin d'oeil au calendrier...
Voilà, nous sommes dans le Jeu. Le plus drôle, c'est que nous y prenons même du plaisir ! C'est moins un plaisir pour soi que pour les autres : un désir de plaire à ceux que nous aimons, à bien les accueillir, à leur faire partager notre union. Un désir aussi de s'amuser avec les conventions. Les détourner gentiment sans toutefois les contester. Et c'est encore plus amusant lorsqu'on s'aperçoit qu'on n'est pas seul à s'amuser et à partager. Le cousin d'O., venu du Liban passer une année d'études en France, est d'accord pour chanter un chant libanais traditionnel dans l'église. Le prêtre, parfois un peu bourru mais au fond bien gentil et conciliant, est d'accord avec mon choix de remplacer le psaume religieux par un beau poème d'Aragon (quelle ironie quand on connaît la couleur politique de ce poète !). Et quant à nous, nous nous sommes mis d'accord avec nous-mêmes pour remplacer à la sortie de l'église les traditionnels grains de riz par de belles bulles de savon qui s'envoleront au-dessus de nos têtes.
Peut-être qu'au fond chacun joue avec ses rêves. Le Jeu consiste alors à confronter les rêves secrets et intimes avec les rêves culturels de la société et à faire de ce mélange un joli imbroglio dont il sort - au choix - robe de princesse, poissons d'avril ou bulles transparentes aux reflets arc-en-ciel.