La nuit est là, déjà. O. est blotti contre moi, sous la grosse couverture. Il me dit : Tu es comme Alice, de Alice au pays des merveilles : tu ne cesses de devenir très grande puis aussitôt toute petite". D'abord, je ne réponds rien. J'imagine Alice qui, comme un élastique, s'étire, puis rapetisse, puis s'étire, puis rapetisse. L'image s'imprègne en moi. Je projette cette image de moi entre grandeur et petitesse. Mais cette vision n'est pas suffisamment nette. Je demande des explications : "Qu'est-ce que tu veux dire ? Pourquoi tu dis ça ?" Mais O. ne répond pas. Il se serre un peu plus fort contre mon ventre et, doucement, se laisse partir dans le sommeil, me laissant seule avec mon interrogation.Je suis grande lorsque je travaille, encore, toujours, sans m'arrêter pour paresser. Je suis petite lorsque je réclame que O. me tienne la main quand le médecin doit me faire une prise de sang. Je suis grande lorsque je prends des décisions et m'y tiens sans fléchir ni faillir. Je suis petite lorsque je doute et je questionne, imaginant soudain ne rien savoir, ne rien pouvoir. Je suis grande lorsqu'O. pose la tête sur mes genoux et qu'il m'écoute lui murmurer à l'oreille "ne t'inquiète pas, je suis là". Je suis petite lorsque c'est moi qui me blottis contre O. et refuse de le lâcher pour le laisser aller dans le monde. Je suis grande lorsque j'aime et qu'il m'aime. Je suis petite lorsque l'avenir m'effraie et fait naître au fond de mon ventre une angoisse trop lourde. Je suis grande lorsque les mots viennent et que je me retrouve en eux. Je suis petite lorsque le temps passe et qu'il me laisse toujours identique à moi-même.
Je suis grande lorsque j'écris. Si grande que je parviens à passer de l'autre côté du miroir et à me reconnaître dans l'image rêvée de moi-même.