Vendredi 28 avril 2006

Recrute traducteur

Je prends des cours d'arabe un soir par semaine, depuis maintenant presque deux ans. Le désir d'apprendre la langue arabe m'est venu de façon complètement inattendue, quelques jours après mon voyage au Liban. Je pense que ce désir est d'abord né d'une frustration. Il faut savoir qu'une des occupations majeures des Libanais est de se rendre visite : quotidiennement, en fin d'après-midi, lorsque le soleil commence à devenir moins pesant, on se rend chez la voisine / tante / cousine (au choix), on s'assoit sur un un coin de canapé (dans un salon libanais, environ 20 m2 de de l'espace est occupé par des canapés - non je n'exagère pas) et on se laisse servir par la bonne sri-lankaise un bon café accompagné de figues du jardin ou de baklawa. Bien entendu, on ne reste pas assis à se regarder dans le blanc des yeux : on parle ! Et de préférence très fort. De préférence aussi non pas à la personne qui se situe juste à côté de soi, mais à celle qui est assise exactement à l'autre bout du salon (d'où la nécessité de parler encore plus fort). Après quelques jours d'immersion totale dans quelques-uns de ces salons libanais (et encore, j'ai cru comprendre qu'en ma qualité de touriste étrangère on m'avait fait grâce de quelques visites, quitte à provoquer des incidents diplomatiques impardonnables), je n'ai eu plus qu'une seule envie : comprendre ce qu'on se disait autour de moi et, sinon pouvoir parler, du moins saisir les sujets de conversation et savoir pourquoi rire ou s'indigner à tel ou tel moment de la discussion. Traumatisée par cette incursion linguistique au sein des mondanités libanaises, je suis revenue de voyage avec la ferme intention d'apprendre l'arabe. Je me disais que lorsque je serais de retour au Liban, je serais un peu moins cantonnée dans mon rôle de petite-Française-qui-sourit (quand on ne peut pas aligner deux mots dans la langue du pays, sourire bêtement est le seul moyen de se donner une contenance).

De retour sur Paris, je me suis mise à chercher des cours d'arabe libanais. Je n'ai rien trouvé qui me convenait - c'était soit trop loin, soit trop cher. Et puis, j'ai vite compris qu'en fait je n'avais pas d'abord envie de parler, mais surtout d'apprendre. Parler une langue sans pouvoir l'écrire et la lire me semblait insensé. Je me suis dit que j'allais apprendre les bases de la langue arabe : l'arabe littéraire, et non pas un dialecte parlé dans un seul pays. L'arabe littéraire, c'est la langue du Coran. Mais c'est aussi la langue universelle du monde arabophone : la langue écrite dans les journaux et les livres et celle parlée au journal télévisé. C'est la langue officielle qu'on soit en Algérie, en Syrie ou au Koweit. C'est la langue qu'on apprend à l'école (parfois de force quand on est un berbère des montagnes) et dont la maîtrise vous permet d'avoir accès au monde des hautes administrations et de la culture. Cependant, l'arabe littéraire n'est généralement pas la langue parlée en famille. Avec ses parents ou ses amis, on parle le dialecte du pays (voire de la région) où l'on habite : la langue parlée quotidiennement n'est paradoxalement pas la langue apprise à l'école. L'arabe littéraire a donc ce statut étrange d'une langue universelle qui pourtant ne peut pas prétendre être une langue maternelle.

Quoi qu'il en soit, ignorant les critiques familiales me disant que j'avais commencé le grec ancien, puis l'allemand, en abandonnant ces deux langues avant de savoir vraiment les comprendre, je me suis lancée dans des cours du soir d'arabe littéraire. Cela tombait bien : il y avait un cours dans ma ville, pas loin de la maison, avec Fatima, professeure marocaine, toujours enthousiaste à l'idée de transmettre la culture de ses origines. Les premiers mois ont été mêlés de surprise et d'incrédulité : à chaque cours, je découvais une nouvelle règle, éminemment étrange pour mes habitudes linguistiques toutes occidentales. Quoi, une même lettre peut à la fois être voyelle et consomme ?! Quoi, les lettres ne s'écrivent pas de la même façon selon leur place dans le mot ?! Quoi, on ne note pas les voyelles dans les textes écrits ?! Heureusement, je n'étais pas seule à tomber des nues à chaque cours et, mes camarades et moi, partagions les mêmes difficultés, nous efforçant cependant de ne pas nous décourager aux mêmes moments pour pouvoir continuer à nous motiver les uns les autres. A chaque question, à chaque surprise, Fatima nous disait, avec une infinie patience : "c'est comme ça ! il ne faut pas chercher à comprendre !" Apprendre une nouvelle langue, c'est accepter de ne pas la comparer avec celles qu'on connaît déjà et c'est vouloir entrer dans sa logique et dans sa cohérence interne.

En cours d'année, les bancs du cours d'arabe se sont clairsemés et beaucoup d'élèves ont abandonné, découragés par les importants efforts qu'exige l'apprentissage de cette langue difficile. Aujourd'hui, nos cours du jeudi soir sont presque des cours particuliers. Mais Fatima est toujours aussi enthousiaste. Et moi je viens toujours en cours avec la même curiosité et la même envie de découvrir. Au départ, je voulais apprendre l'arabe pour répondre à la tante Wissam du Liban ou pour impressionner mes beaux-parents. En vérité, en me lançant dans l'étude de l'arabe littéraire, je me suis ouverte à toute l'étendue d'une culture. Apprendre une langue n'est-ce pas la plus belle façon de découvrir une culture ? C'est une façon d'entrer dans une logique nouvelle et de comprendre de l'intérieur un système de pensée. On en comprend ainsi beaucoup sur la culture arabe lorsqu'on apprend que dans cette langue le temps futur n'existe pas véritablement et que le présent s'appelle éloquemment "l'inaccompli".

Hélas, une heure et demie par semaine ne suffit pas pour apprendre convenablement une langue étrangère. Comme en plus je ne suis vraiment pas douée pour les langues, aujourd'hui, au bout de presque deux années scolaires, je sais tout juste déchiffrer un petit texte de quelques lignes et dire quelques phrases ultra simples dans un accent improbable. Je suis bien embêtée lorsqu'en société j'entends un "Ma belle-fille, elle parle arabe !!" et qu'on me pose une question à laquelle je ne comprends pas un traitre mot ! Mais je ne désespère pas d'y arriver un jour. Qui sait ? Inchallah !

En attendant, au dernier cours, Fatima m'a remis solenellement un cadeau et une jolie carte : Félicitations pour ton mariage ! On a bien pensé à toi tu sais !" J'étais vraiment touchée par la gentille attention de ma prof et de mes camarades. Mais arrivée à la maison, lorsque j'ai ouvert la petite carte, qu'ai-je vu ? Fatima a écrit son petit mot en arabe ! Elle a adopté une écriture bien scolaire, en vocalisant (c'est à dire en notant les signes qui renvoient aux voyelles). Mais il y a pleins de mots que je n'ai pas encore appris ! Y aurait-il un arabophone parmi vous qui pourrait m'aider à déchiffrer ce texte ? J'aimerais bien revenir jeudi prochain au cours d'arabe en lançant en début d'heure : "J'ai tout compris ce que tu m'as écrit dans la carte, Fatima !" Amis traducteurs, pour me joindre, c'est ici !




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