Jeudi 28 avril 2005

Où j'en suis de ce journal ?
Où j'en suis de ce journal ? Voilà des semaines que je me pose la question, que j'y réponds dans ma tête, mais que je ne prends pas le temps de déposer les mots hors de moi pour les donner à lire. Le temps me manque, comme toujours. J'ai deux boulots en même temps, et ce n'est pas facile à gérer. Le premier a lieu entre quatre murs, bien délimité entre 9 heures et 18 heures. Le deuxième a lieu dans le temps qui reste - pendant la pause déjeuner, ou bien le soir dès le retour du bureau, jusqu'à l'arrivée de O. vers 20h ou 20h30, ou encore le week-end, quand j'ai le courage de détourner mes yeux du soleil. Impossible de ne pas me coller à ce second boulot, par ailleurs plutôt sympa : je m'y étais engagée il y a plusieurs mois, avant que l'autre boulot, le CDD qui devait ne durer qu'un mois, me tombe dessus. Alors je travaille, et je travaille encore. Et puis, certains soirs, je m'en vais donner des cours. À Rama que je ne veux pas abandonner avant qu'elle ait réussi à lire son premier roman en entier. À une petite lycéenne qui veut comprendre comment on fait une dissert' de philo. Les cours, c'est presque pour le fun. Comme ça, pour me dire que je n'ai pas perdu la main. Ou peut-être aussi parce que je n'arrive pas à complètement décrocher de l'enseignement - comme si finalement j'avais besoin de montrer aux autres ce que je sais.

Voilà, donc, tout mon temps est bien occupé. Peut-être trop, même. Mais, comme j'ignore complètement de quoi est fait l'avenir proche et si j'aurai toujours un boulot payé dans un mois, je préfère ne rien lâcher, prendre sur mon énergie pour tout mener de front, au cas où pendant plusieurs mois plus personne ne voudrait plus me faire gagner ma vie. À vrai dire, ma vie, en ce moment, je la vis un peu au jour le jour. Je travaille, tête baissée, et laisse venir le reste. Comme si la devise organisant ma vie était devenue : "On verra bien après". À quoi bon prévoir, si c'est pour avoir à démonter les bons plans qu'on avait édifiés ?

Mais tout cela ne répond pas à ma question : j'en suis où de ce journal ?

J'ai envie de répondre que j'en suis nulle part. Pour moi, il n'est pas arrêté. Encore moins terminé. Terminer d'écrire son journal, ne serait-ce pas terminer de vivre sa vie ? Seul quelqu'un envisageant de ne plus être en vie pourrait envisager de mettre une fois pour toute un point final à son journal intime. Mais les faits sont là, me dira-t-on : aucune entrée depuis un mois, et, lorsque des pages sont mises en ligne, des textes insipides sur le temps qui passe, les heures qui manquent et le présent qu'on n'arrive même plus à ressaisir. Chers lecteurs, je vous vois froncer les sourcils devant ma page d'accueil qui, jours après jours, reste identique à elle-même : "Elle nous avait habituée à mieux ! N'a-t-elle donc plus rien à dire depuis qu'elle a changé de métier ?". Mais, êtes-vous encore là, connectés à mon épave ? Ailleurs, il y a des "blogueurs" qui font des "posts" tous les jours, toutes les heures. Je ne vous en voudrais pas si vous êtes partis sous d'autres ondes, plus régulières, plus impliquées, plus présentes. Etant donné que, moi-même, je ne réponds plus aux quelques mails que je reçois, pourquoi me devriez-vous fidélité ?

Mais cela ne répond toujours pas à ma question : où j'en suis de ce journal ? Mon journal est en stand-by - comme ma vie, allais-je dire. Il a appuyé sur la touche "Pause". Mais sans le faire exprès, par inadvertance. Comme lorsqu'on s'assoit sur la télécommande ou que le chat vient marcher tranquillement sur les touches du clavier et qu'il appuie sur la touche "Veille". C'est pas voulu. Ça arrive comme ça, juste parce qu'on ne fait pas attention. Parce qu'on ne regarde plus vraiment ce que l'on fait. On sait que bientôt la machine se remettra en route. Alors, on ne s'inquiète pas vraiment de l'image figée qui vient s'immobiliser sur l'écran. La certitude que l'image figée sera de nouveau remplacée par un film tournant en vitesse normale est toujours là.

En fait, il y a une chose dont je suis sûre : jamais je n'accepterai d'écrire ici si je n'ai pas quelque part ailleurs où écrire. Si je fermais ce site, ce serait parce qu'un nouvel espace d'écriture m'attendrait autre part - dans un coin de mon ordinateur, dans une tribune publique, ou bien où sais-je encore. Je ne peux accepter d'arrêter d'écrire purement et simplement. Pour l'écriture, comment pourrais-je dire : "et puis après, rien" ? Écrire, ce n'est pas vivre. On pourrait vivre sans écrire, bien sûr. Combien de gens sur terre n'ont jamais écrit une seule ligne de leur vie et ont la meilleure santé possible ? Mais en un sens, écrire, c'est bien plus qu'une fonction vitale parmi d'autres. Écrire, c'est donner un sens à sa vie. Si j'arrêtais définitivement d'écrire, cela voudrait dire que j'aurais accepté de ne plus essayer de rendre ma vie sensée. Certes, ma vie est absurde. Ce que je vis, ce que nous vivons tous, n'est qu'une somme de confusions, d'incertitudes et d'incompréhensions. Mais, avec l'écriture, on crée l'illusion que toute cette ineptie se déroule de façon cohérente. Transformer sa vie en texte, c'est la rendre plus solide. C'est tisser ensemble tous ces bouts de sentiments et de pensées qui semblent se contredire. C'est fabriquer un grand vêtement qui protège du monde extérieur et qui permet de garder la chaleur que l'on porte à la fleur de sa peau. Écrire, ce n'est pas être vivant, mais c'est en prendre conscience. "C'est énorme !", comme ils disent, maintenant, les gens à la télé.

Si j'acceptais d'arrêter d'écrire, cela voudrait dire que j'accepterais de faire de ma vie une longue marche dans un tunnel sans ouverture. Car, vivre sans mot, n'est-ce pas comme vivre sous terre, sans lumière ni clarté ? Grâce aux mots, ma vie prend sens. Ma vie s'éclaire. Non, je ne veux pas vivre dans le noir ! Alors, où j'en suis avec ce journal ? En stand-by, peut-être. Mais je n'ai certainement pas appuyé sur la touche Stop/Eject.

c'est le printemps, près de la bibliothèque de mon quartier



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