Au travail, j'ai un grand et beau bureau. Je suis officiellement chargée de lancer de gros projets d'ouvrages. Seulement voilà, pour de vrai, en ce moment je n'ai pas beaucoup de boulot et je m'ennuie ferme dans mon bureau si spacieux. Ma responsable est surbookée. Toujours en rendez-vous. Pour lui parler, je dois lui laisser des petits mots sur son bureau ou alors prendre rendez-vous avec sa secrétaire. Ou alors ne pas déjeuner, car le seul moment qu'elle a de libre se situe entre 12h30 et 13h30. Du coup, il n'est pas évident de réussir à l'attraper au détour d'un couloir pour lui réclamer des tâches concrètes qui occuperaient dignement mes journées au bureau. Alors, en désespoir de cause, j'occupe mon temps de travail de façon tout à fait indigne : je navigue sur Internet de blog en blog. A la fin de la journée, j'en ai mal aux yeux tellement mon regard est resté rivé à l'écran. J'ai aussi vaguement honte d'avoir ainsi détourné mes heures de travail. Mais en même temps, peut-on vraiment être coupable de ne pas faire un travail qu'on ne vous donne pas ?Le matin, en arrivant devant l'ordinateur, je vais directement vers mes blos préférés. Ceux qui ne me décevront pas - ceux qui, quoi qu'il advienne, écrivent quotidiennement, avec une régularité imperturbable. Parfois, je lis en diagonale, d'autres fois je soupire devant mon clavier, impressionnée par les mots si justes, si sincères que je lis, là, de l'autre côté de l'écran. Puis, je me laisse voyager, de site en site, à travers les liens amis qui fleurissent dans les marges de chacun de ces dynamiques blogs. Je me laisse attirer par un titre, par un pseudo, et je lis une entrée. Parfois, cette nouvelle écriture que je découvre me touche et je me plonge allègrement dans les archives. D'autres fois, je reste hermétique à cette personnalité qui s'offre à mon regard de lectrice et je vais aussitôt voir ailleurs. Paradoxalement, il arrive quelques fois, qu'au hasard d'un lien, je retourne sur le site que j'avais si rapidement délaissé et que, finalement, j'y trouve une proximité de pensée qui, pourtant, m'avait échappée à la première visite.
Ce monde des blogs semble sans fond, sans fin. Parfois, j'ai l'impression que naviguer sur les blogs, c'est comme prendre le métro. Il y a tout autour de moi des gens de tous les horizons, de tous les métiers, de tous les âges. Sauf que, contrairement aux gens du métro, je peux entrer dans un bout de leur tête : ils m'offrent, sans retenue apparente, un peu de leurs rêves, un peu de leurs souvenirs, un peu de leur histoire. Quand on y pense, c'est fantastique. Bien sûr, pour le découvrir, il faut avoir écarté tous ces blogs sans véritable intérêt, ces sites éphémères dont les auteurs ne se sont fait blogonautes que pour entrer dans la mode. Mais au-delà de ces blogs qui font beaucoup de bruit pour pas grand chose, au-delà de ce bon filon marketing qui se veut "phénomène de société" dans la bouche des journalistes, il y a des tas de petits bouts de vraie vie. Des gens comme moi pour qui bloguer c'est d'abord écrire. Ecrire avec des mots. Ecrire avec des émotions. Ecrire en y laissant des morceaux de soi.
Le plus dur, c'est d'arriver à se repérer dans tout ce méli-mélo de liens et de clans. Car sur Internet, comme ailleurs, tout fonctionne par petits groupes amis. Les gens se regroupent par métier ou préoccupations principales. Je fréquente régulièrement les blogs de profs. Souvent je retrouve mes débuts d'enseignante dans leurs pages - les mêmes angoisses, les mêmes questionnements, les mêmes espoirs idéalisants. Ces blogs de "néo-titulaires" de l'Education nationale me font sourire : il y a quelques années, mon journal ressemblait à un de ces blogs de prof et moi aussi, bien avant l'heure des blogs, je racontais mes déboires de jeune enseignante. Sauf que je parlais davantage à mots couverts, avec la peur sourde d'être reconnue par un de mes élèves - peur que ne semblent pas avoir bien de ces jeunes collègues, alors même que le blog est devenu une pratique connue de tout le monde et non plus une activité isolée et insoupçonnée. Des néo-profs, je passe ensuite à la lecture des néo-écrivains. Il y a quelques mois, je parlais ici des lettres de refus des éditeurs à qui j'avais envoyé le manuscrit d'un roman. J'ai découvert que certains aspirants écrivains avaient ouvert des blogs entièrement centrés autour de ce désir d'être publié et qu'ils partageaient même sur la place publique ces fameuses lettres de refus, reçues par eux aussi. Et puis, pour ne pas en rester aux primo-écrivains, je vais aussi jeter des coups d'oeil sur les blogs d'écrivains confirmés. A mi-chemin entre l'auto-promotion et les coulisses de la création, ces blogs racontent ce qui se passe de l'autre côté des livres publiés. Mais Internet ne permet pas seulement les mots, ils donnent aussi les images. Alors souvent, je vais naviguer du côté de la bande dessinée : on appelle ça un "blog dessiné" et souvent c'est drôlement réussi. Au fond, je ne lis jamais les blogs qui me sont complètement étrangers. Je lis ceux dans lesquels je reconnais un peu de moi-même ou, du moins, de mes préoccupations du moment (d'où, il y a peu, une inavouable boulimie de "blogs de mariage" !)
Parfois, je me dis que je suis un peu lâche. Je lis, je lis, je lis. Et quasiment jamais je ne me manifeste. Même ici je rechigne à nommer ceux que je lis et que j'apprécie. Est-ce par pudeur ? Est-ce pour affirmer mon refus de transformer ce goût de la lecture des blogs en vaste copinage ? Au fond, c'est peut-être pour cela que, même si je suis une lectrice de blogs, je ne suis pas vraiment une blogueuse. Ce que j'aime dans ces journaux sur Internet, c'est la possibilité qui est offerte de lire des récits de vie en direct : découvrir comment d'autres que moi se débrouillent avec leur vie, ici ou là, à quelques mètres de chez moi peut-être, comment ils s'en sortent avec leur existence et comment ils mettent en mots leur vie quotidienne. Regarder les gens vivre et les écouter parler de leur vie : c'est ça au fond que je recherche dans la lecture des blogs. Etre aux prises avec la vie humaine, saisir la variété des expériences et lire toujours - lire et écouter. Communiquer vient en second, de surcroît. Pourquoi ne pas entrer en communication avec celui qui nous a touché en effet ? Mais ce n'est pas pour communiquer avec lui que je le lis. Parler m'importe peu au fond. Ce que je veux en fait c'est écouter. Je me sens un peu mal à l'aise lorsque je pénètre plus explicitement dans la vie des gens que je lis. D'ailleurs, que puis-je leur dire ? Leur donner des conseils ? Mais qui suis-je pour dire aux autres ce qu'ils doivent faire ? Le soutenir, les aider, les réconforter ? Oui, mais je ne suis pas douée pour ce rôle-là et d'autres le font mieux que moi.
Dans la vraie vie, je suis discrète. J'écoute beaucoup, je parle peu. Je vais peu vers les gens, j'attends qu'ils viennent vers moi. Sur le net, je suis la même personne. Je ne cherche pas le contact, mais j'accueille autrui lorsqu'il vient doucement cogner au coin de ma boîte aux lettres. Je regarde discrètement les autres vivre et je n'interviens pas sans y être invitée. Je préfère entrer dans la vie d'autrui sur la pointe des pieds. A pas feutré, sans faire de bruit. Les commentaires ne doivent pas étouffer les paroles originelles. Une vie, ça se vit d'abord, ça s'écrit ensuite - parfois. Mais ça ne se commente pas forcément. Lorsque dans un blog, il y a plus de place consacrée aux commentaires des uns et des autres qu'à l'écriture du blogueur, cela ne m'intéresse plus. Le blog est devenu forum et la communication a pris toute la place de l'écriture. Je suis une lectrice de blog un peu atypique, peut-être un brin égoïste, voire voyeuriste. Qu'importe ! Pourquoi la communication devrait-elle être une nécessité ? Ici comme ailleurs, non pas parler, mais d'abord écouter.