Lundi 19 février 2007

 

Sur les nerfs

En ce moment, au boulot, tout le monde est sur les nerfs. Au fur et à mesure que les jours passent, les esprits deviennent de plus en plus survoltés. Je parle au sens propre : il y a tellement de tension nerveuse dans l'air que c'est à croire que chacun est une pile électrique en mouvement, prête à disjoncter pour saturation. Dans trois semaines à tout casser, il faudra avoir signé les BAT - les Bons A Tirer - et avoir mis enfin un point final à ces bouquins qu'on porte chacun à bout de bras depuis des mois maintenant. Plus que trois semaines. Mais bien sûr, rien n'est fini. Loin de là. Mon bureau est un vrai chantier. Dans tous les sens, on y trouve des épreuves surchargées de corrections, sur grandes feuilles A3, parsemées de post-it multicolores.

Un bouquin, tout particulièrement, aspire toute mon énergie. Jusqu'à maintenant, je croyais que j'étais une personne calme et posée. Pas du genre sanguin à s'énerver pour un rien. Non, j'étais fière de ma maîtrise de soi. Seulement là, sur ce livre, les auteurs exagèrent tellement que parfois j'en perds mon calme légendaire. Pendant des semaines, j'ai retravaillé avec les auteurs leur manuscrit, essayant d'améliorer ici un exercice trop difficile, là une page bien trop chargée. Après être arrivée enfin à un accord sur l'ensemble des manuscrits, j'ai tout envoyé chez le compositeur, afin de mettre en page le manuscrit, et j'ai fait travailler conjointement les illustrateurs. Les auteurs ont vu les illustrations, les ont corrigées (beaucoup) puis les ont validées. Mais voilà que je reçois de la part des auteurs des épreuves couvertes de ratures, de grosses corrections en rouge dans tous les sens : des pages entières barrées, des textes entièrement réécrits, des dessins à complètement modifier... Les auteurs croient que les épreuves sont une énième version de leur manuscrit. Elles refont tout leur ouvrage, à trois semaines du BAT. Du coup, me voilà vraiment sur les nerfs.

J'essaie de garder mon calme. Je respire un bon coup et j'appelle un des illustrateurs : Je suis désolée, mais il faudrait corriger ce dessin page 53, celui-ci, et puis aussi celui-là. L'illustrateur râle. Je compatis. J'appelle le compositeur et l'avertis qu'il va recevoir de nombreuses corrections sur les épreuves. Le maquettiste râle. Je lui réponds : Allez courage ! Je vais voir mon fabricant, qui règle toute la partie "physique" du livre, et lui montre un aperçu des épreuves couvertes de rouge, pires que ce qui serait la plus mauvaise des copies du pire des cancres à l'école. Il me dit, avec son humour très particulier, T'as qu'à casser la gueule à tes auteurs. Je dis D'accord, bonne idée. Je téléphone à une de mes auteurs, j'essaie de prendre le ton le plus aimable possible, et je lui explique que corriger sur épreuves des dessins validés, ça donne du travail à tout le monde et que vraiment ça ne se fait pas. L'auteur ne s'excuse pas, persuadée qu'elle a raison. Elle râle. Je râle aussi. Tout le monde râle. Mais ça ne fait rien. Dans trois semaines, il faudra que rien n'y paraisse.

Que celui qui pense que les éditeurs sont des profiteurs qui exploitent les gentils auteurs lève le doigt : je lui jetterai la première pierre. Que ceux qui imaginent que travailler 5 jours sur 7 derrière un bureau, apparemment planqué et à l'abri de tout conflit, lèvent le doigt eux aussi : je leur jetterai la seconde pierre.

Pardon si je perds mon calme exceptionnellement. Mais j'ai des circonstances atténuantes.
 

 
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