Regards extérieurs, c'est ici !L'année dernière, je me suis inscrite à l'université pour suivre – à distance – une formation menant à un diplôme de maîtrise de lettres (on dit "Master 1" maintenant). Je ne sais pas trop pourquoi je me suis engagée dans cette reprise d'études. Ou plutôt, à vrai dire, il y avait plein de raisons, personnelles et subjectives, sans que je puisse en arguer une qui soit officielle.
D'abord, me retrouver sans rien avoir à découvrir, à apprendre, à théoriser a tendance à me paniquer - ou du moins à me déstabiliser. Peut-être est-ce révélateur de ma difficulté (voire incapacité ?) à grandir et à franchir les portes du monde adulte et à m'y complaire. En tous les cas, j'ai besoin d'apprendre, de lire, de disserter. Je suis un pur produit de l'école et je n'ai jamais pu me défaire totalement du processus scolaire : avoir une trousse avec des stylos de toutes les couleurs, faire des fiches de cours, prendre des notes. Depuis que j'ai quitté officiellement l'école, je n'ai jamais réellement arrêté de faire tout ça et sur mon bureau il y a toujours des tas de cahiers impeccablement tenus où je prends des notes ou consigne des fiches de lecture. Ce n'est pas ma faute, c'est plus fort que moi. Plus profondément, j'ai également besoin de savoir que mon monde de connaissances et d'apprentissages n'est pas fermé et qu'il est toujours en mouvement perpétuel. J'aime l'incertain déséquilibre dans lequel on se trouve lorsqu'on est en situation d'apprentissage : découvrir chaque jour que l'univers est bien plus large qu'on se l'imaginait, faire connaissance avec de nouveaux auteurs, des théories jusque là inconnues ou des systèmes de pensée qui paraissaient avant – quand on était dans l'ignorance – inimaginables. Faire des études, c'est avoir la preuve qu'on vit dans un monde qui n'a pas de limite. C'est faire chaque jour vaciller le confort de ses certitudes pour les remplacer par des doutes et se constituer de nouveaux savoirs. J'ai besoin de cette instabilité cognitive (disons ça comme ça pour faire pédant !) pour me donner envie de me lever le matin et d'y découvrir des nouveautés. Je suis trop claustrophobe pour envisager de vivre dans un univers fermé. Et un monde dans lequel il n'y a plus rien à apprendre ressemble pour moi à une prison.
Ensuite, plus concrètement, je souhaitais me lancer dans des études de lettres en abordant plus particulièrement un domaine que je connais peu (la littérature pour enfants). Au sortir du lycée, j'ai beaucoup hésité entre les lettres et la philosophie, avant de me laisser tardivement tenter par cette dernière... sans vouloir toutefois mettre de côté mon goût pour la littérature. Me lancer dans une maîtrise de lettres, c'était renouer avec ce désir que j'avais écarté il y a quelques années, et en même temps découvrir un monde que j'avais trop longtemps ignoré.
Et puis, il y a une troisième raison à tout cela. Une raison officielle, celle que j'ai expliquée à mes parents. Je me suis dit que me spécialiser dans un domaine particulier de littérature pourrait peut-être m'aider à changer de voie professionnelle (encore !) et, lorsque j'en aurai marre de l'édition scolaire, me lancer dans un autre secteur d'édition - l'édition pour la jeunesse par exemple. Et, en sous-main, une raison officieuse, que je garde précieusement pour moi : lire des auteurs, découvrir d'autres modalités d'écriture, réfléchir aux conditions narratives ou stylistiques, pour, mine de rien, mieux aborder l'écriture et ses principes... pour, au final, mieux apprivoiser ma propre écriture et lui donner l'assurance dont elle a besoin et qui lui manque pour oser se lancer. Je sais que c'est naïf – voire suicidaire – de penser qu'en approfondissant la théorie on parviendra à développer la pratique. Mais c'est mon côté scolaire qui m'oblige à penser ainsi.
Seulement, tout cela, ce sont de belles paroles et de beaux projets. Encore faut-il que cela suive derrière ! C'est-à-dire pas seulement se lancer encore une fois dans des études, mais véritablement étudier – c'est-à-dire travailler, s'empêcher de sortir le soir ou de s'amuser le week-end pour rester devant ses bouquins et pondre des dissertations. Devant mes beaux principes velléitaires, je dois avouer que ma paresse naturelle a pris le dessus et a fini par gagner la bataille. Un an après mon inscription à la fac, je n'avais quasiment lu aucun des cours à préparer, rendu aucun devoir et j'avais laissé dans un silence total le professeur qui devait encadrer mon mémoire. Bref, j'ai été incapable de faire coexister les études et la vie professionnelle - exactement comme il y a plusieurs années maintenant j'avais avorté un DEA qui n'avait jamais été plus loin que le stade du brouillon. Mais l'été dernier, je me suis dit que c'était dommage d'arrêter encore une fois en chemin un autre de mes projets et qu'il fallait que j'aille jusqu'au bout de mes décisions. Je me suis donc réinscrite à la fac, dans la même formation. Cette fois-ci, je me suis prise en main. Je me suis arrêtée rapidement sur un sujet qui me plaisait, ai contacté un prof. Fin septembre, je lui envoyais un plan assez détaillé de mon futur mémoire - à tel point qu'il était même impressionné par l'avancée de mes réflexions par rapport aux autres élèves, encore en phase de recherche de sujet ! Mais, une nouvelle fois, les impératifs du monde professionnel ont repris le dessus et, au coeur de l'hiver, je me suis à nouveau retrouvée assommée par la fatigue et paralysée par la paresse. Le week-end, je n'avais pas le courage de rester à la maison pour étudier et le soir j'avais la tête trop pleine pour me remettre devant l'ordinateur. J'ai laissé le temps s'effilocher. Jusqu'à ce que je me mette une bonne claque en me disant qu'il était dommage d'abandonner une nouvelle fois alors que j'avais déjà fait une bonne partie du chemin. Alors, depuis quelques semaines, je m'y suis remise : j'ai rouvert mes bouquins et refais mes fiches de cours.
Mais le temps passe vite. Trop vite. Dans trois semaines, je vais devoir passer des examens écrits. Et dans deux mois, je devrai rendre à un jury un mémoire de 100 pages - dont à peine 10 pages sont pour le moment écrites. Bien sûr, je savais tout cela depuis des mois. Mais je m'en suis aperçue depuis seulement quelques jours. D'où une décharge maximum de stress qui m'est tombée dessus ! J'essaie de combler mes lacunes comme je peux. Je lis des dizaines de pages de cours sur lesquelles j'aurais dû plancher il y a des mois. Je me précipite à la bibliothèque pour y emprunter des livres que j'aurais dû étudier. Je panique. Je commence à étudier un cours, puis passe au suivant, cherchant à tout commencer, n'arrivant à rien terminer. La somme des connaissances à accumuler me fait si peur que face à elle j'ai l'impression de ne rien savoir du tout. Je me donne l'impression d'être la mauvaise élève qui bachote sans discernement à trois semaines du bac, croyant naïvement pouvoir masquer des lacunes indépassables. Bref, c'est le stress ! L'autre nuit, je me suis rêvée dans une salle d'examen inconnue, devant une page blanche, incapable d'écrire quoi que ce soit. Je ne suis pas très fière de me présenter à un examen que je n'ai pas assez préparé. Mais voilà, maintenant, c'est trop tard, je me suis engagée. Et si, pour une fois, j'allais jusqu'au bout de mes projets ?
Allez, plus que trois semaines de bachotage... Mince, seulement trois semaines !
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. |