Lundi 21 mai 2007

 

Hôtel-Club 3 étoiles

On n'est jamais d'accord. Jamais. On se dispute toujours. Toujours. Il dit oui, je dis non. Il dit non, je dis oui. Il affirme C'est moi qui sais. Je rétorque Non, c'est moi. Je dis devant témoins Nous deux on se dispute tout le temps. Il répond Non c'est pas vrai, cite-moi une fois où on était pas d'accord, tu vois, tu trouves pas. Mais le lendemain, c'est lui qui déclare On se dispute toujours. Et moi je dis Non, tu dis n'importe quoi. Invariablement nos désaccords verbaux se transforment en luttes de corps à corps et, immanquablement, on finit horizontalement dans le canapé. Il me murmure à l'oreille Tu as tort. Et moi je l'embrasse dans le cou en lui répondant Non, c'est moi qui ai raison. Après, on ne dit plus rien, parce qu'on est occupés à autre chose. Mais on se dit en secret, chacun pour soi, que les couples qui sont toujours d'accord entre eux doivent bien s'ennuyer. Comme la vie serait triste si on ne se disputait pas tout le temps.

C'est les vacances, il pédale sur son vieux vélo rouge. Du ciel tombe une pluie fine. Le chemin ne ressemble plus à rien et les roues de nos bicyclettes s'enlisent dans la boue. Il râle, bien sûr. Il dit Moi, je voulais l'hôtel-club à Djerba, et pas les kilomètres en vélo sous la pluie. La pluie redouble. Je tire la capuche de mon K-way bleu marine, baisse la tête pour ne pas recevoir les gouttes d'eau dans les yeux et donne un coup de pédale pour monter la petite côte. Je culpabilise un peu. Je lui dis en faisant la moue Tu vas me quitter parce que je te force à t'user les fesses sur une selle de vélo. Et puis, dix minutes après, on croise un petit écureuil sur le bord de la route. Un petit animal tout mignon qui s'enfuit dès qu'il nous aperçoit et qui grimpe tout en haut d'un arbre pour mieux nous narguer. Alors je le regarde et je lui dis Tu voudrais être dans ton hôtel-club à t'ennuyer à mourir au bord d'une piscine au lieu de respirer cet air frais qui te rappelle que tu es vivant ? Il répond Oui, je voulais la formule all-inclusive du Club Med. Mais ses yeux disent le contraire. Tout le contraire. Il râle, bien sûr. Mais je pense ne pas me tromper en affirmant que mes vacances – avec inclus courbatures dans les jambes et réveil frileux dans la tente au petit jour – il ne les échangerait pour aucun Trois étoiles.

Las d'être mouillés et d'avoir les chaussures couvertes de boue, on s'est dit Et si on dormait en chambre d'hôtes ce soir ? Un coup de téléphone, deux coups de pédale, et nous voilà dans une ancienne métairie du XVIIe siècle classée "3 épis" dans le guide des chambres d'hôtes de charme. Les pieds en éventail dans l'eau brûlante de la baignoire, un bon bouquin piqué dans la bibliothèque du salon, je profite à merveille de tout ce luxe. Il vient me rejoindre dans la salle de bain et se moque de moi en s'écriant Oh la honte, La grande cycliste est dans son 3 étoiles, Tu casses le mythe, Attention je vais le répéter à tout le monde ! Je râle, bien sûr. Je dis Mais, arrête. Et je fais mine de faire la tête. On n'est pas d'accord. En fait si, on l'est. Mais on fait semblant qu'on ne l'est pas du tout, c'est plus marrant. Et il vient me rejoindre dans la baignoire, pour mieux prouver que c'est lui qui a raison.

C'est dimanche soir, à Paris. Les vacances sont terminées. Demain matin, on reprend le chemin du boulot. Il se love contre moi et me dit Pourquoi c'est déjà fini, Je veux être avec toi en vélo sur les chemins de halage. Je m'exclame Mais tu n'as fait que te plaindre durant une semaine, et tu veux y retourner maintenant ! J'ajoute, perfide, La prochaine fois, on partira en hôtel-club, c'est promis. Il râle. Il dit Oh non, pas l'hôtel-club.

J'ai dit Oui, il a dit Non. Il dit Oui, j'ai dit Non. Question de timing. Le secret, c'est de ne jamais être d'accord au même moment. Et tant mieux s'il faut en venir au corps à corps pour prouver à l'autre qu'on a raison.

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