Lundi 4 mai 2009

Disparitions

Triste nouvelle dans la blogosphère : l'annonce du décès d'une de nos consoeurs d'écriture. Elle jouait à cache-cache sur le net, apparaissait sous un pseudonyme, puis disparaissait du jour au lendemain. Mais toujours il y avait dans son écriture la même sensibilité, la même force, et surtout la même fidélité à elle-même et à la puissance de l'écriture. A l'annonce de la maladie, elle avait mandé sa cousine pour prévenir ses lecteurs, au cas où. Et voilà, "le cas où" est arrivé. Si brutalement que, derrière notre écran, la nouvelle est à peine crédible. On ne croit que ce l'on voit. Et sur Internet, dans les rapports dits virtuels, on ne voit pas grand chose, c'est vrai. Mais on peut entendre le silence et, dans un lien qui ne fonctionne plus ou amène à une page d'erreur 404, on peut assister à la disparition. Disparation d'un être, disparition des mots ici, c'est exactement la même chose.

J'ai souvent pensé à ma propre disparition. Ma disparition réelle et donc virtuelle, ma disparition dans la "vraie" vie et donc, forcément, dans l'existence parallèle offerte par Internet. Si je meurs après avoir mis officiellement un terme à ce journal en ligne, j'imagine que celui-ci aura alors de toute façon son destin déjà scellé : j'aurai décidé de le supprimer (ce dont je doute fortement) ou bien je l'aurai archivé scrupuleusement dans un lieu plus ou moins accessible. Mais si ma vie s'arrête alors que ce journal est toujours en cours d'écriture ? Que devient-il ? Et moi, que puis-je devenir pour vous qui me lisez depuis longtemps sans jamais m'avoir vu, sans jamais rien savoir de mon identité officielle ?

La plus violente des morts est l'oubli. Une page qui n'est plus actualisée, un site à l'abandon, des messages lancés sans réponse... et certainement un jour un serveur qui décide de clore le compte, faute de mouvement de son utilisateur et de visite de ses lecteurs. Le silence, l'absence, l'oubli. Le temps a passé, et des mots et des émotions il ne reste plus rien. A peine un souvenir peut-on nier que ce qui se lit derrière un écran n'a pas tout à fait la même force que ce qui se voit, se sent, se touche ? Voilà plus de dix ans que je navigue sur Internet et lis la vie des autres dans ce qu'ils veulent bien m'en montrer. En ce long espace de temps, j'en ai vu des sites mourir ainsi, dans une disparition aussi complète et souvent inexpliquée que la mort elle-même. Une personne qui n'écrit plus, qui ne met plus à jour son site et qui part, du jour au lendemain, sans annoncer son départ, équivaut pour le lecteur à une mort. Mort virtuelle, mort physique quand on est seul derrière l'écran, c'est exactement la même chose. Des gens que j'ai lus pendant des années, dont j'ai suivi la vie, les pensées ont un jour cessé d'écrire et pour moi, simple lectrice, ils sont morts. Leur disparition, souvent, m'a rendue triste. Et puis j'ai fini par associer le souvenir de la lecture de leurs écrits au souvenir de ma propre vie. Ceux qui écrivaient jadis, en 1998, en 1999, sont morts pour moi et, en même temps, c'est un peu celle que j'étais à cette époque qui a disparu avec leur retrait d'Internet. Une page s'est tournée, une époque est terminée.

Mais la disparition, parfois, n'est pas seulement virtuelle. Derrière mon écran, j'apprends aujourd'hui le décès d'une blogueuse. Pourtant, elle est encore là elle s'annonce en gras dans les liens non lus de mon agrégateur. Comment croire qu'elle n'est plus ? Comment imaginer qu'elle a disparu alors que sa parole résonne encore avec tant d'éclat sur le net ?

Écrire un testament, cela fait peur. Et si c'était ainsi provoquer la mort, lui dire "je suis prête, tu peux venir !" ? Pourtant, peut-être devrais-je écrire le testament de mon journal : je voudrais qu'il me survive qu'il vive au-delà de ma mort. Je ne sais pas trop comment. Je ne sais pas même si ce journal a quelque chose à dire à des lecteurs au-delà de moi-même, au-delà du temps présent. Mais lorsque moi je ne serai plus là, je voudrais que ce journal soit encore là, d'une façon ou d'une autre. Est-ce une façon illusoire de se dire qu'on existe au-delà de la mort et d'arracher au temps un petit bout d'immortalité ? Sûrement.

Je n'ai laissé nulle part trace de mes différents codes d'accès de mes identités parallèles sur Internet. Si je mourrais demain, personne ne pourrait venir ici sur ce journal vous annoncer mon décès. Mais je sais que, derrière leur écran, des lecteurs archivent contre l'oubli et le silence. Et ça me rassure : la mort n'est peut-être pas forcément la fin.

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