Écrire les bonnes heures
Mes dernières entrées ici étaient toutes grises. Textes gris souris, sans beaucoup de vie, sans beaucoup de sourire. Textes gris pour jours tristes d'automne, sans beaucoup de joie, sans beaucoup de foi. Certains de mes lecteurs se sont inquiétés devant ces pages grises. "Eva", m'ont-ils écrit, "est-ce que ça va ? as-tu besoin d'aide ?", m'ont-ils demandé. J'ai répondu "merci". Oui, ça va. J'écris les jours gris, mais je devrais écrire aussi les jours de toutes les autres couleurs. Car il y en aussi : des jours arc-en-ciel qui font oublier l'hiver. Oui, je vous assure, il y en a aussi.
Le temps passe. J'écris toujours ici, quelque fois. Mais j'intercale dans mon carnet virtuel des pages blanches. Des pages muettes. Il y a tant de choses que je ne dis pas, tant de moments que je n'arrête pas sous les mots, tant de sentiments que je ne retiens pas dans ces lignes. Le temps passe et je m'aperçois que je suis malhonnête avec ce journal. Celui-ci n'a jamais prétendu être un compte rendu exact de ma vie (et il ne l'a jamais été). Mais il était du moins jadis un accompagnement fidèle de mon quotidien, un témoignage régulier de l'avancée des mois - des années. Mais aujourd'hui, mon carnet des jours est devenu poussiéreux. La vie défile - une joie, une promesse, un espoir, un jour heureux, un jour à deux... Je ne les écris pas. Je laisse filer ces petites joies et ces grands sourires. Je les vis sans les dire. Pour vous, c'est un peu comme s'ils n'existaient pas. Pour moi, c'est un peu comme si je ne faisais plus l'effort de les retenir. Je vis, j'oublie. Je n'écris plus. Ce qui donne de la couleur à mes jours ne vient pas habiter les pages de mon journal.
J'écris pourtant parfois ici. Mais c'est une écriture d'urgence - une écriture de l'ordre de la survie. Ces derniers temps, j'ai écrit ici ce que je ne pouvais pas dire autre part. Mon écriture n'était pas témoignage ni collection du temps. Elle était de l'ordre du cri. Écrire pour aller mieux. Écrire pour combattre les jours gris. Mon écriture ici n'était plus que ça. Écrire parce qu'on n'a pas le choix.
Je m'en veux un petit peu. Parce que pour vous, je suis ce que j'écris. Si j'écris gris, c'est que ma vie est grise, pensez-vous. C'est vrai, puisque j'écris ce que je suis. Mais ce qui est vrai aussi, c'est que ma vie a aussi plein d'autres couleurs. Or, si je passe sous silence ces couleurs, c'est un peu comme si elles n'existaient pas. Ces silences sont comme des trahisons. Pour vous et pour celle que je deviendrai et qui, un jour peut-être, relira ces pages.
J'ai toujours pensé qu'il était plus facile d'écrire le malheur que le bonheur. Plus facile d'écrire la souffrance que le plaisir. Car il n'est pas facile de vivre la légèreté et de la fixer sans la trahir dans des mots colorés. Alors qu'il est si naturel d'engluer les états d'âme qui vous colle à la peau dans des mots dégoulinant. Un jour, j'en fais la promesse ici, j'apprendrai à écrire les bonnes heures. A écrire le bonheur.
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Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. Il y a dix ans. |