Vendredi 3 septembre 2010

Les cents jours

Aux heures creuses, je vais sur les blogs de grossesse. J’y vois des filles qui affichent avec fierté leur bidon qui grossit. Au début, il est tout plat, puis quand on clique sur quelques mois plus tard on voit un gros ballon qui arrondit le tee-shirt trop tendu. Je clique ici, là. Je lis « C’est génial, je suis enceinte ! Mon chéri est heureux ! », ou bien « Aujourd’hui, rendez-vous chez le gygy », ou encore « Ce matin, je suis allée au labo faire pipi dans le flacon ». Je pense, Moi aussi. Et puis en même temps, je me dis, Quand même, ces ventres qui se tendent sous l’œil de l’objectif et ces consultations de cabinet médical dévoilées, quelle indécence. Mais je continue de cliquer, de lire, de regarder. Une femme, puis une autre, puis encore une autre, tout se confond. La grossesse, comme une aventure universelle et collective. C’est la même chose ailleurs. C’est banal. Mais en même temps cette banalité est si rassurante que je ne peux m’empêcher de cliquer, comme pour vérifier que oui, chez moi, c’est tout pareil, oui, je rentre bien dans les cases, oui, mon expérience a déjà été vécue un million de fois. Est-ce que la grossesse serait une machine à aplanir les différences ? Il n’y a rien qui ne ressemble plus à une femme enceinte qu’une femme enceinte, et, étrangement, pour une fois, ça fait tellement du bien de ressembler à toutes les autres.

Dans le miroir, je regarde mon ventre. Au matin, au réveil. Mais oui, il est toujours là, il n’est pas parti pendant la nuit. Le soir, la brosse à dents dans la bouche, mais oui, là, quand même, cela a bien un peu gonflé, non ? Me voici aujourd’hui au centième jour de grossesse. Chiffre tout rond, comme les cent jours de Napoléon revenu de Sainte Hélène. Chiffre tout rond, pas vraiment comme mon ventre qui, dans sa conquête de la maternité, n’a pas encore tout à fait songé à s’arrondir avec franchise sous ma chemise. Je n’ose pas prendre mon ventre en photo, comme toutes ces filles des blogs. Pudeur ou volonté de ne garder mon secret que pour moi ?

Au retour de mes vacances, je choisissais une chemise ample. Devant le miroir de la salle de bain, je m’observais de profil. Pourvu que ça ne se voit pas, pourvu qu’ils ne se doutent de rien. Mais dans les couloirs du bureau, personne ne se doutait de rien et on me demandait Alors, c’était comment tes vacances ? Puis, il y a deux semaines, j’ai libéré mon secret. Ma responsable était assise devant mon bureau, me racontant ses brasses dans l’océan Atlantique et le soleil d’été sur sa peau. Elle m’a dit, Et toi ? Alors j’ai répondu, J’ai une nouvelle à vous annoncer. Je crois que mes joues se sont légèrement empourprées. Elle s’est exclamée, Félicitations, c’est une excellente nouvelle. Sa joie semblait sincère, ça m’a rassurée. Toute la semaine durant, j’ai continué à faire sortir le secret de mon ventre. On m’a dit, C’est super. On m’a dit, Bravo. On m’a dit, là bas, dans le grand bureau dans lequel je vais si rarement, Mazel tov. A chaque fois j’ai souri et j’ai répondu, Non, on ne sait pas encore si c’est un garçon ou une fille. Depuis, certains matins, devant mon armoire, j’ose mettre la marinière achetée aux soldes d’été. Sous les rayures, en regardant très attentivement, on peut apercevoir mon nombril qui pointe avec timidité et, comme le tee-shirt est long, on ne voit pas trop que le premier bouton de mon jean est ouvert.

Je pose les mains sur mon ventre et je regarde mon ambivalence. Je voudrais montrer à tout le monde le très léger arrondi de mon ventre, et exactement en même temps je voudrais ne le garder que pour moi. Je suis deux, je suis double.

Regards extérieurs, c'est ici !

Introduisez votre adresse e-mail
pour être averti lorsqu'un nouveau Regard sera ouvert :
InscriptionDésinscription
 
Il y a un an.
Il y a deux ans.
Il y a trois ans.
Il y a quatre ans.
Il y a cinq ans.
Il y a six ans.
Il y a sept ans.
Il y a huit ans.
Il y a neuf ans.
Il y a dix ans
Il y a onze ans.