Je reviens
Le RER B tôt le matin, La Courneuve, Aubervilliers, la banlieue qui étale derrière les vitres du train les premiers arbres rougis de l'automne. J'ai du mal à croire que je pars en vacances, que bientôt je serai dans un pays où l'été se reflète dans la mer bleue.
Après plus de quatre heures de vol, l'avion laisse entrevoir par les hublots la côte libanaise. Je vois les vagues qui font onduler la mer et le littoral recouvert de grands immeubles blancs. Le Liban, enfin. 6 ans après mon premier voyage, me voici de retour ! Tant de temps a passé, et pourtant cela semblait hier. 1er septembre 2004, la date est tamponnée sur mon passeport. Je me souviens de celle que j'étais alors. J'étais la fiancée de O., c'était comme cela qu'il me présentait, la fierté dans les yeux. Je découvrais un pays, un peuple, une culture. J'étais curieuse et je voulais tout savoir. Les années qui ont suivi, j'ai pris des cours pour apprendre la langue, j'ai lu des livres pour comprendre l''histoire. Au fond, je savais que c'était un peu lui que je voulais mieux comprendre, lui, O., mon fiancé devenu mari.
16 septembre 2010, une nouvelle date tamponnée sur mon passeport, à côté d'un cèdre dessiné à l'encre rouge. Aujourd'hui, je suis devenue la femme d'O. et dans mon ventre, je porte son enfant. Le Liban n'est plus ce pays inconnu, fascinant et effrayant à la fois. Voilà près de huit ans que ce pays m'accompagne, discrètement, sans vraiment que je m'en aperçoive – des mots échangés chez les parents d'O., des habitudes culinaires, des cousins qui envoient des photos sur Facebook. Je retrouve le Liban comme je retrouverais un vieil ami que, malgré l'éloignement, je n'aurais jamais perdu de vue. A l'arrivée dans l'aéroport pourtant commun et aseptisé, mon sourire grandit sur mes lèvres. Je sais que derrière la barrière des douanes, il y aura les parents d'O. venus nous accueillir. Welcome to Lebanon !
Comme la première fois, la sortie de l'aéroport, c'est la chaleur étouffante, le soleil qui fait cligner des yeux, puis les embouteillages au milieu des quatre-quatre sur l'autostrade. Les grands immeubles sont toujours aussi laids, si laids qu'on apprécierait presque les grandes affiches publicitaires qui donnent à la ville un visage (certes commercial). La route nous fait passer par le centre-ville, magnifiquement rénové. La première fois, j'avais vu des échafaudages poussiéreux, aujourd'hui s'élèvent de beaux bâtiments ocres reconstruits à l'ancienne. Je regarde partout, dans tous les sens. Je guette la grande mosquée Hariri, celle que je n'avais vue qu'en chantier. Je ne suis pas déçue : elle apparaît soudain au détour d'une place, immense et orgueilleuse. « Ici, il y a le tombeau de Rafic Hariri », dit mon beau-père en montrant sur la gauche un grand portrait de l'homme politique assassiné. Ironie du destin : en construisant cette grande mosquée, pensait-il qu'il y serait enterré à peine quelques années plus tard ?
La route jusqu'au village semble ne pas en finir. « Là, il y a les martyrs », continue mon beau-père en montrant une affiche qui aligne le portrait des hommes politiques (tous chrétiens, sauf Hariri) assassinés ces dernières années. « Il n'y a plus que des martyrs, dans ce pays », ironise-t-il en secouant la tête.
C'est toujours l'autoroute, mais petit à petit le paysage change. Il y a des églises orthodoxes derrière les grandes affiches publicitaires, des champs de bananiers et des vendeurs à la criée sur le bord de la route. Et puis surtout, à gauche, il y a la mer Méditerranée, qui s'empourpre sous le soleil déjà couchant. Je dis à O. « cela fait longtemps qu'on n'a pas vu la Méditerranée, n'est-ce pas ? » Oui, si longtemps. Et ça fait du bien de la retrouver. Enfin.
Le pays, la mer, le soleil d'été sont les mêmes qu'avant, et pourtant si différents. Exactement comme moi.
Il y a un an.
Il y a deux ans. Il y a trois ans. Il y a quatre ans. Il y a cinq ans. Il y a six ans. Il y a sept ans. Il y a huit ans. Il y a neuf ans. Il y a dix ans. Il y a onze ans. |