Vendredi 12 août 2011

De mon temps

Ma mère dit, Quand vous étiez petits, ton frère et toi, je mettais de la farine dans le dernier biberon du soir, pourquoi tu ne fais pas ça ? Ma mère dit aussi, Avant, on avait des biberons en verre et on les stérilisait tout le temps, je ne comprends pas que ça ne fait plus. Ma mère dit encore, Avant les couches étaient en tissu et c'était autre chose, les bébés avaient toujours les fesses rouges. Ma mère ajoute, Ton lait semble bien léger, est-ce que tu crois que ça la nourrit suffisamment ? Et ma mère met un morceau de compote de pommes, aussi sucré qu'une confiture, dans sa cuillère et fait mine de l'approcher vers la bouche de la Sardine.

Mon père dit, Tu dis que la douche n'est pas pratique dans cette maison, mais elle a de la chance ta fille d'avoir un bain tous les jours, on n'avait pas ça nous quand on était bébé. Mon père dit aussi, Il faut la laisser pleurer, ça lui fera les poumons. Mon père ajoute, Avant on disait qu'il ne fallait pas prendre tout le temps les bébés dans les bras, que ça les rendait capricieux. Mon père dit encore, De mon temps les bébés n'avaient pas autant de jouets que maintenant, si avec ça elle n'est pas éveillée.

La Sardine se réveille et se met à pleurer. Aussitôt, je m'approche pour la prendre dans mes bras. Et puis, il y a la phrase fatale qui revient. Comme une menace, comme un couperet. "Il faut laisser les bébés pleurer, car sinon ça les rend capricieux !" Excédée, je m'arrête dans mon geste. Je dis comme ça, D'accord, essayons les méthodes à l'ancienne. Je laisse la petite pleurer sans rien faire. Je bouche mes oreilles, ne la regarde plus. Je sors de mon corps, je ne suis plus que spectatrice. J'ai un ton ironique, faussement conciliant. Oui, oui, laissons l'enfant pleurer, puisque c'est là la solution miracle. Et je vais chercher mon nécessaire à manucure. Voilà une semaine que je veux me couper les ongles et que je ne trouve pas le temps de le faire, puisque j'ai toujours la petite dans les bras. Je m'assois dans l'escalier et je coupe un à un chacun de mes ongles. Je n'ai pas entamé la main gauche que mon père, déjà, s'est levé. Il berce la Sardine dans sa poussette. Je répète, hypocritement, Mais on a dit qu'on la laissait pleurer ! Mais mon père continue son geste. Je finis la main gauche et j'attrape la lime à ongle, et voilà maintenant que mon père a pris sa petite-fille dans ses bras et la console avec tendresse. Alors, les méthodes à l'ancienne ? Je dis ça comme ça, avec un sourire vengeur. Mon père rétorque qu'il n'en peut plus d'entendre le bébé pleurer. Il n'ajoute rien d'autre et il embrasse sa petite-fille qui, aussitôt, se calme et lui sourit.

Je me dis soudain que le truc de laisser le bébé pleurer a été inventé il y a trente ans par des grands-parents pour embêter leurs enfants. Mais qu'en vrai, jamais personne n'y a jamais cru vraiment. Les grands-parents d'aujourd'hui se vengent de leurs parents et voilà comment ça se répète, de générations en générations.

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